A la ligne – Joseph Ponthus – (La Table ronde – 2019)

Pourquoi A la ligne ?  Parce que Joseph Ponthus écrit en vers de dimension variable regroupés en strophes, elles aussi variables. Donc aucune raison d’être rebuté par un mur épais de mots allant de page en page. Ce parti-pris d’écriture permet de suivre à la trace les aléas et les logiques d’une réflexion vive, multiforme et poétique.

Aucune ponctuation, simplement des phrases regroupées en chapitres. La réalité décrite dans A la ligne n’a rien de poétique : c’est celle d’un ouvrier intérimaire qui travaille dans des conserveries. D’abord dans une conserverie de poissons (on est en Bretagne) où on égoutte du tofu, ensuite dans un abattoir de bovins (on est toujours en Bretagne).

Le premier intérêt de A la ligne, c’est la description très précise des conditions de travail dans cette industrie agro-alimentaire contemporaine. On ne peut s’empêcher d’être abasourdi, même sans être un militant de la cause animale, par les conditions dans lesquelles les animaux sont traités. Quant aux conditions de travail des humains, cette analyse d’une grande précision vaut mieux que toute enquête approfondie. Car il a lui-même ressenti dans son corps et ses pensées, la précarité du travail en interim, la répétition du travail à la chaîne, l’incertitude de la continuité du travail, le bruit, la fatigue, la pression de l’encadrement pour que tout aille toujours plus vite, les aléas de ses corps d’animaux encore vivants. Description rigoureuse de la façon dont le capitalisme contemporain s’applique en Bretagne.

Il y a aussi les collègues, femmes et hommes, jeunes pour la plupart, dont les conditions de travail exigent force, discipline et initiative quand un imprévu apparait. Et les solidarités, l’amitié parfois, se nouent entre elles et eux, le partage des soucis familiaux et des joies des enfants, la préparation du mariage d’un des travailleurs avec l’homme qu’il aime… L’humanisme, valeur que l’on pourrait croire quasi-obsolète à notre époque, traverse tout le livre.

Parce que Joseph Ponthus est un amoureux de la littérature, de la poésie et des chansons, il donne à ce livre sa forme si particulière : il écrit en vers, surtout irréguliers. C’est à la fois son refuge et son carburant. Quand il écrit que Le temps léger s’enfuit sans m’en apercevoir (c’est du poète Desportes 1546-1606), c’est à la fois une description et un survol sur ce qu’il vit. Cette double entrée dans son récit lui permet de donner des explications d’une réalité très prosaïque et de suggérer des visions, des évasions, des victoires parfois, face à la lourde réalité dont il peut ainsi s’extraire de temps en temps.

Quelques exemples de cette invitation de la littérature dans le récit de l’emploi instable :
« Les sous à aller gagner racler pelleter avec les bras le dos les reins les dents serrées les yeux cernés et éclatés les mains désormais caleuses et rêches la tête la tête qui doit tenir la volonté bordel »
– « Le corps est un tombeau pour l’âme »
Dit la vieille maxime grecque classique
Et je réalise que
L’âme est aussi un tombeau pour les corps. »
« Mais Trenet
Trenet me sauve le travail et la vie de tous les jours
que l’usine fait
Sans lui sans son absolu génie
Je suis sûr que je n’aurais pas tenu
Que je ne tiendrais pas
Et aussi vrai que Barbara m’a rendu l’espoir en écoutant
Le Mal de Vivre un soir il y a longtemps de ça où tout est si noir, si noir à en vouloir crever. »

A la ligne est un livre poétique et jouissif, grave et subtil, avec ses vers ancrés dans la littérature et la chanson, qui donnent au lecteur une description concrète et décalée de la condition ouvrière. Ce livre renouvelle la gravité, l’émotion et le bonheur de lire…

Pour voir Joseph Ponthus à La Grande Librairie, cliquer ici https://www.youtube.com/watch?v=3vzxCHXNzAY

Joseph Ponthus à la « Grande Librairie »

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