
« Vous vous réveillez un matin. Vous êtes noire. » Un journaliste lui téléphone pour l’inviter « à témoigner dans mon émission de radio du racisme anti-Noirs dont vous êtes victime. » Après un réveil brumeux, noire vraiment ? Son père, haïtien, l’était. Sa mère était de couleurs laiteuses. Elle se regarde dans le miroir de la salle de bains : ses cheveux sont raides, sa peau est jaune grisâtre. « Vous n’êtes pas vraiment noire. (…) vous ne pouvez pas dénoncer la méprise.» Et Haïti ? Elle n’y était jamais allée. Sa grand-mère étant morte, l’île n’est plus une destination, ni son origine. Elle n’en avait plus rien à faire. Et d’être vue comme noire ou blanche ? Le lendemain, la confusion inonde sa réflexion. Elle retient que le noir n’est pas une couleur, mais le résultat de l’absorption des rayons qui atteignent la Terre. Elle préfère être noire, plutôt qu’être ennuyée par la banalité d’être blanche. Ce n’est pas facile avec la langue française qui s’apparente au masculin blanc en se déclarant neutre. Le lendemain, l’auteure rejoint l’Institut géographique pour assister au cours Haïti, risques et catastrophes, cours donné par son oncle. Tandis que d’autres étudiants parlent fièrement de leurs voyages récents en Haïti, elle se sent honteuse et se définit comme « une crasse, une coquille vide. ». Et se rend compte que « le noir n’est pas une couleur , c’est un engagement. » comme le montre le meilleur livre sur le racisme, La prochaine fois, le feu, de l’écrivain noir-américain James Baldwin (1924 – 1987).
Noire ou pas noire ? Quels sont les regards posés sur elle, alors que sa peau est d’un jaune grisâtre et ses cheveux, lissés au fer ? Est-elle haïtienne ? française ? Où se loger dans une case bien précise ? A l’intérieur du minuscule Haïti Grand Market en plein Paris, elle trouve enfin du rhum Barbancourt, qu’elle consomme avec modération, et dont elle garde la bouteille « objet de ce qui existe de plus haïtien. » Invitée à participer au tournage d’une émission télévisée, on lui demande « Pour vous, c’est quoi la discrimination ? » De quelle culture se sent elle la plus proche ? Comment les autres la regardent-t-elle ? Dans un bus, un homme refuse de la voir comme une noire car elle ne reflète pas la misère.
Au hasard de quelques expériences, le plus souvent non volontaires, elle est à la recherche d’une identité perdue, mais laquelle ? Comment identifier son origine avec des grands-parents maternels italiens et un grand-père paternel né au Maroc ? Lors d’un voyage à Miami, elle est arrêtée par deux flics qui lui tendent un formulaire qui s’enquiert de sa race, elle coche « other », réponse qui lui ouvre les portes de la liberté (…). « Le génie, c’est sa grand-mère, haïtienne, Ima ». A la radio, un écrivain haïtien (Dany Laferrière ??) témoigne de l’écriture de l’exil, de son exil au Canada, et se demande « comment il a pu habiter une pareille île. Depuis sa création d’exilé maudit, ses livres se vendent par milliers, les journalistes se bousculent pour recueillir son témoignage, c’est un travail d’imagination colossal (…) , c’était du pipeau ». Elle conclut « Noir, exilé, Haïti (…),ce n’est rien et c’est tout à la fois. » Du mythe à la réalité, il n’y a qu’un pas.
Elle y va, enfin. Elle assiste au « mariage de votre cousine, la fille du frère de votre père. « Au loin, ses quatre enfants ». Ils se ressemblent tous. Elle constate son propre reflet dans la vitre. « C’est fou comme on se ressemble, dites-vous. Votre oncle sourit. On rentre à la maison. » L’arrivée à la maison, c’est dans presque un tank, « vitres pare-balles, portières blindées, l’engin noir opaque. » On reconnait qu’elle est la fille de son père. Il faut apprendre à vivre dans une ville dévastée, ne pas sortir après 20h, compter les morts, surveiller l’eau potable, rare et chère. Sa famille compte surtout des morts. L’eau potable est surveillée, car rare et chère. Si sa maison est en ruine, elle-même reste en vie.
Dernière étape, Key West, pour visiter la maison d’Hemingway.. « Une île, c’est ce qui demeure lorsque tout est a disparu. » En rentrant à Paris, « je me réveille un jour, je ne serai jamais noire. »
Pour en arriver à cette dernière phrase, refus de l’assignation d’être noire, résultat d’un cheminement chaotique et douloureux sans une once de racisme, ce livre, parfois drôle, parfois dramatique, projette une fragile lumière sur la construction de sa propre liberté.
