Tout se passe dans l’Est de la France, surtout en Lorraine, région d’où vient l’auteur, qui fait maintenant partie du Grand Est, invention technocratique de la fin du XXème siècle. Mais aussi ailleurs selon les rebonds et les échecs dans les vies des personnages qui parcourent une partie ou tout ce livre de presque 400 pages. Il débute par une scène de réveil telle que de très nombreuses familles la vivent quotidiennement. Cette famille, composée d’un couple, Hélène et Philippe, et leurs deux filles, est tiraillée entre les charges familiales et les impératifs professionnels, à la recherche continuelle d’un temps depuis longtemps disparu. Débordée mais poussée par une de ses jeunes collaboratrices, Hélène s’inscrit sur un site de rencontres avec un laïus de présentation minimaliste et un rien provoc: « Hélène, 39 ans, viens me chercher si tu es un homme ». La réponse ne se fait pas attendre : un certain Manuel, 32 ans cherche « une femme belle et intelligente… ».
En même temps, Hélène court au galop vers la réussite professionnelle dans la jungle des entreprises qui sont censées apporter des conseils comme McKinsey. Nicolas Mathieu déploie une description au scalpel tranchant de ces entreprises et de leur langage, qui s’affichent comme des garants de l’augmentation de leurs profits. Famille plaisir travail, est-ce la devise des valeurs contemporaines de l’Occidental-e d’aujourd’hui ? Ou bien, juste une cohabitation sèche et dure des valeurs existentielles du nouveau siècle…, et les oublier ?
Autre personnage, Christophe, ancien champion de hockey sur glace, et vendeur d’alimentation pour chiens. « Rien ne le touchait comme les bêtes. A part son petit garçon ». Sa vie n’évolue guère, une envie de nouveau le taraude. C’est en écoutant Sardou chanter Les lacs de Connenmara qu’il « fallait vivre pourtant et espérer malgré le compte à rebours et les premiers cheveux blancs. Des jours meilleurs viendraient. On le lui avait promis. ». Dans un restaurant, Hélène a un coup de chaud en apercevant Christophe. Elle fait « des plans sur la comète, anxieuse, pressée, le cœur chargé comme un revolver. » A la quarantaine, déjà à distance de leurs jeunesses, leurs vies restent encore à découvrir. Entre eux, commence une histoire d’amour très sensuelle, très engagée, avec « cœur en miettes » quand elle s’achève comme la majorité des belles histoires d’amour, juste avant de vieillir.« L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée. »
Connemara n’est pas seulement cette histoire d’amour contemporaine. C’est aussi celle de l’évolution du capitalisme occidental qui se rénove en donnant, entre autre, une place de plus en plus importante aux sociétés de conseil. Elles vendent de quoi cadenasser l’histoire en intronisant de nouvelles normes et des technologies enveloppées dans un nouveau langage managérial, décrit très précisément par l’auteur, Nicolas Mathieu, en le brocardant abondamment avec un stylet des plus acérés. Parfois c’est aussi avec une certaine tendresse pour celles et ceux tombées dans le piège de leur propre ambition et qui parviennent à en percevoir la futilité, voire la vacuité. Mais ce n’est pas facile de faire une croix sur l’aisance financière et au semblant de prestige et de pouvoir propres à ce genre d’entreprise. Par contraste, le sport et ses vertus sont célébrés dans Connenmara, avec le hockey sur glace, le football, la marche, la nage, en mettant à l’honneur la pratique amateure qui irrigue la vie quotidienne, loin des aspects financiers
Connemara est aussi un recueil des affects de tout âge, de l’enfance à la vieillesse, ce qui donne à ce livre une épaisseur humaine hors du commun, jeu de ping-pong entre l’évolution problématique du monde d’aujourd’hui et la diversité des affects, leur évolution entre audace et conformisme, de l’ambition au repli. Qui risque de s’y noyer ? Qui peut-y échapper ? La lecture de ses 400 pages vous donnera-t-elle une réponse ? Vous n’échapperez pas à la tension qui traverse ce livre de part en part…
Des petits riens 