Vivre à ta lumière  – Abdellah Taïa  – Seuil  – 208 pages– mars 2022

Vivre à ta lumière  narre trois périodes de la vie de Malika. Elle est née au Maroc encore colonisé par la France, dans une famille pauvre de la campagne. A dix-sept ans, dans les années 1950, Malika va au souk de Beni Mellal avec son père, elle y croise un jeune homme, Allal. Elle a envie de prendre dans ses mains les pieds d’Allal, première sensation de désir. Ils se marient avec la permission paternelle. Un ami d’Allal est présent, Merzougue qui s’enlace avec Allal devant tout le monde. Elle les revoie plus tard, dans leur plaisir. Malika y découvre un lien très intime. Premier indice d’émancipation pour eux deux, en donnant une place au plaisir… pourtant considéré comme un acte diabolique, au sens premier du terme.

Dans des cascades, Allal et Malika échappent à un hélicoptère français, « comme un dieu en colère » qui les met en joue, pression brutale et ordinaire d’un colonialisme toujours triomphant qui continue à encadrer leurs vie. Autre coup brutal du colonialisme : sous la pression de ses parents et contre le désir de Malika, Allal est envoyé sous le commandement français en Indochine pendant la guerre d’indépendance, autre territoire colonial français. Il n’en reviendra pas. Malika est chassée de la famille d’Allal qui reçoit les honneurs de la France. Merzougue reste près d’elle. Il s’allonge à côté de la tombe de Allal, Malika fait de même.
C’est à cette époque que la figure de Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi Hassan II, apparait, combattant résolu de la décolonisation non seulement marocaine mais mondiale.

Dans la deuxième partie, c’est Malika qui parle. On est dans les années 60. Elle vit à Rabat. Elle se marie avec Mohammed avec lequel elle a neuf enfants. Elle rencontre Monique, qui fait partie des Français(e)s toujours présents «  dans les villas des beaux quartiers de Rabat »  et qui cultivent la nostalgie du Maroc, pays apparemment idyllique. Monique, en à peine une heure, a conquis tout le monde, les six filles de Malika et son mari, Mohamed, fascinée(é)s par la peau blanche de Monique qui cherche une bonne. Malika s’y oppose, puis accepte pour deux semaines, que Khadija, sa fille ainée, soit le bras de la rancune de sa mère. Mais Khadija est totalement séduite par la vie que lui propose Monique. Malika et Monique finiront par se rapprocher et se sentir à égalité.

Troisième partie. La veille du décès de Hassan II, un jeune voleur homosexuel, Jaâfar, qui sort de prison, entre chez Malika qui vit seule depuis longtemps et qui n’a plus rien à perdre. Jaâfar veut la tuer après lui avoir enfoncé un couteau dans la cuisse.  Dans un dialogue violent, tendu et parfois presque tendre, Jaâfar révèle qu’il a été la pute gratuite pour toute la prison, y compris du directeur de la prison, sous le nom de Najat avec qui se noue une relation tendre mais brève quand Najat a remarqué Tamman, « très beau et très blanc ». Malika raconte sa vie de mère de onze enfants, dont Ahmed, qui est homosexuel et a choisi d’aller en France pour vivre librement son homosexualité, « la France qui l’a avalé », pour y vivre une liberté froide et égoïste. Elle essaie de convaincre Jaâfar de ne pas revenir en prison. Mais il veut y revenir, seul lieu où le sexe entre hommes, seule sexualité possible, lui donne ce qu’il attend. Hors de la prison, il ne peut plus être lui-même.

Les dernières pages sont pleines de ce dialogue qui n’en est pas un, l’une et l’autre essayant de trouver la faille qui pourrait leur permettre d’aborder la vie désirée, la vie rêvée, la vie réelle dans le contexte symbolique d’un roi qui va mourir. Est-ce trop tard pour sortir de ce buisson épineux ? Où est leur place, à l’une et à l’autre ? Malika n’enverra pas de lettre à Ahmed, ni à Monique. Jaâfar va planter son couteau dans la cuisse de Malika, ce qui lui reconduira vers la prison, lieu où la vie lui semble être la meilleure pour lui..

Dans Vivre à la lumière, le sexe et l’exil, la liberté et la famille, le colonisé et le colonisateur se  font face à face ou l’un dans l’autre…   Serait-ce un écho de la vie d’Abdellah Taïa ? Un hommage et un témoignage d’amour à sa mère, à qui il dédie ce livre ? Un livre politique éclairant une voie vers l’émancipation ? Il fait éclater son écriture entre politique et tourments intérieurs, plaisirs plus ou moins accomplis et plaies toujours ouvertes d’un colonialisme toujours vivace. Et propose à celle ou celui qui le lit de Vivre à la lumière. A vous de la trouver…

Abdellah Taïa

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