Evains Wêche – Je vivrai d’amour pour toi – Ed. Philippe Rey – février 2022

Cela se passe en Haïti. Evains Wêche a déjà écrit d’autres livres, notamment Les Brasseurs de la ville, aux éditions Philippe Rey en 2016, qui fut l’un de mes premiers émerveillements littéraires haïtiens contemporains .

Le titre de ce livre indique sans ombres ni doutes qu’il s’agit d’amour. Oui, la première phrase de ce récit est  une déclaration d’amour. « Maman, aujourd’hui que tu es morte, je peux tout te dire : je t’aime. » Tout le monde l’appelait Man Laveau. Ce deuil ouvre le temps des révélations, des retours sur un passé  plus ou moins tumultueux. Et aussi un rassemblement familial fort, unanime pour que chacun puisse exprimer son chagrin, rappeler ses souvenirs, se consoler ensemble. Chagrin d’autant plus fort qu’il est teinté d’interrogations car elle serait morte d’un cancer des poumons, sans avoir fumé ni bu.

D’où la sidération familiale, celle du voisinage et les questions qui surgissent d’une réalité aussi improbable qu’impitoyable et finalement loin d’être élucidées. De quoi est-elle morte ? D’une maladie ? D’un mauvais sort ? L’ambiance n’est pas au recueillement mais plutôt aux accusations mutuelles, avec la mort au milieu provoquée par dix-sept zombis. En contrepoint,  des mouvements intenses d’amour entre le fils et sa mère « Tu as pris ma tête entre tes mains et tu m’as regardé droit dans les yeux. J’ai eu ce courage de supporter ce regard blanc. A peine inquiet. On n’a pas pleuré, juste un silence. Juste une pause, pour peser et soupeser la sourde gravité autour de nous. Pour distiller en moi un peu de ton âme en héritage. »

La question reste entière pour tout le monde : pourquoi est-elle morte, elle, aimée de tous, pleurée par tout un quartier. Sa mort est inacceptable. Il faut en chercher un responsable. Les langues se délient, les histoires et conflits familiaux reviennent à la surface de la vie quotidienne, de la vie familiale, les conflits enfouis depuis l’enfance remontent. La famille maternelle accuse de meurtre la famille paternelle, dans un discours saturé de superstitions alors que cette grande dame aux petits gestes est honorée par toutes et tous, venant de partout.

« Mourir, ce n’est pas disparaître ». Et si, finalement ces mots si simples ne disent-ils pas l’essentiel, repris par le titre même du livre, «  Je vivrai d’amour pour toi ». C’est aussi une critique des superstitions qui déchirent cette famille haïtienne avec leur avalanche de cris, de convulsions, de sanglots, contrebalancés par des propos consolateurs, « (…) un jour, toutes les mamans et les Grand-Ma doivent monter au ciel et laisser leurs enfants grandir pour devenir de grands hommes, forts et intelligents. »

En filigrane ou en témoignage, tout au long du livre, au milieu des bruissements familiaux et  de voisinage, dans une société menacée par la violence des gangs qui règnent en maîtres, c’est l’amour d’un fils pour sa mère qui est le sujet de ce livre. « Maman, je suis encore amoureux de toi. Aujourd’hui que tu es morte, je t’aime pour te garder en vie. Je me dis que mon feu est à même de te réchauffer. Malgré la morgue. Malgré la mort. Je vivrai d’amour pour toi. »

 Avec Je vivrai d’amour pour toi, Evains Wêche a écrit un puissant livre d’amour qui baigne aussi bien dans les intimités de chacune et de chacun que dans les contradictions d’une société déchirée et la puissance toujours renouvelée du vaudou. C’est par une autopsie que termine Je vivrai d’amour pour toi, sans répondre aux questions restées béantes autour de la mort de Man Laveau.

Evains Wêche

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s