La tragédie de la course à l’argent

Trois destins : celui de deux jeunes filles qui s’enfuient de Colombie pour rejoindre les Etats-Unis, toujours terre promise ; celui d’un sénateur mexicain, ancien policier qui a compris comment se procurer richesse et pouvoir ; celui d’un petit Beur surdoué en plein milieu d’une cité de la banlieue parisienne.

A travers ces trois destins qui seront tragiques, Fabrice Humbert brosse dans Avant la chute (Editions Le Passage) une fresque noire de notre terre mondialisée qui tourne autour de la drogue, quintessence de l’économie mafieuse et reflet particulièrement délétère de la mondialisation galopante qui caractérise notre époque. Ce violent réquisitoire est clairement exposé par les propos d’un juge au murmure à peine audible dans une réunion d’une commission mexicaine anti-drogue :  » Le juge expliqua que les images d’économies noire, blanche et grise n’étaient pas satisfaisantes. Qu’en soit, aucune d’entre elles n’existait. Que les hommes fixaient les frontières et les normes. Qu’on pouvait très bien considérer que tout était valable dans ce monde pour se faire de l’argent. Et que tout se qui se passait actuellement traduisait un glissement de civilisation. » (page 140). « Tous les flux s’étaient mêlés, en particulier dans les paradis fiscaux, qui survivaient avec la bénédiction des Etats les plus puissants malgré leurs beaux discours […]. Le flot faisait sauter toutes les normes, toutes les morales, on ne parvenait plus à distinguer le légal du criminel.» (page 141).

Si le livre ne s’en tenait qu’à ce constat, il serait de la même veine que de nombreux articles réquisitoires dressés contre la course à l’argent devenue folle qui a conduit à la crise de 2008 sans avoir trouvé de remède depuis. Un écrivain se doit d’en chercher une illustration dramatique littérairement crédible. Il doit même dépasser la charge informative et émotive de tous les reportages réalisés de par le monde par des journalistes talentueux et courageux. On sait que certains d’entre eux peuvent avoir une vraie valeur littéraire, depuis qu’Albert Londres a prouvé que le reportage engagé pouvait être un art à part entière.

Fabrice Humbert y parvient en créant des personnages non seulement représentatifs de la réalité mais aussi dotés d’une vraie personnalité dramatique. Les deux sœurs colombiennes sont aussi dissemblables qu’unies dans une fuite éperdue à travers la vive lumière mexicaine. Le jeune Beur est l’opposé de ceux qui lui sont proches, témoin effrayé et attentif des tensions extrêmes qui exploseront en violence. Le profil du sénateur mexicain est un peu plus convenu, politicien mafieux ayant bâti sa carrière comme une revanche d’un jeune policier envieux et un débouché à sa soif de vie.
Ces personnages ne seraient que de pauvres pantins si le roman n’avait pas été construit comme une inéluctable course à l’abîme. Apparemment indépendants mais pourtant si liés à la tragédie de notre époque, ces trois destins sont tressés sans défaillir. La narration de Fabrice Humbert, servie par un style sobre et efficace, se déroule inexorablement sans que l’on puisse totalement en deviner l’issue. Impossible de lâcher le livre dans ses soixante dernières pages dont la fin ne dénoue pas vraiment la tragédie de la course à l’argent …

Evidemment, c’est tentant de faire la comparaison avec Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari  (Actes Sud) que j’ai déjà chroniqué dans ce blog. Il s’agit, dans les deux cas, de narrer des chutes ancrées dans le fonctionnement intime de notre temps. A mon sens, Jérôme Ferrari s’est quelque peu fourvoyé dans une histoire qui se voulait singulière mais finalement assez bancale. La course à l’abîme racontée de façon plus sobre mais implacable par Fabrice Humbert me semble plus éloquente.

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