Le Patient anglais, vous connaissez ? Film multi-oscarisé en 1997 et qui a même valu à Juliette Binoche de recevoir la fameuse – et bien laide – statuette comme meilleure actrice dans un second rôle… Mais qui se souvient que ce film a été adapté d’un livre de Michael Ondaatje, L’homme flambé, auteur d’origine du Sri Lanka ? Pas moi, en tous cas, qui ne connaissais même pas le nom de cet écrivain.
Comme souvent, c’est totalement par hasard (et parce que j’aime bien les couvertures des Editions de l’Olivier souvent dessinées par le fils d’une de mes meilleurs amies) que j’ai emprunté La table des autres à la bibliothèque. Et j’ai failli le lâcher au bout d’une centaine de pages. Je ne m’étais pas farouchement intéressé aux aventures à la Tom Sawyer d’un trio de garnements embarqués dans un paquebot reliant Colombo à Londres. Une sorte de chronique de la vie des passagers où l’on imagine volontiers que trois gamins quasiment livrés à eux-mêmes, Cassius, Ramadhin et le narrateur, Michael, essaient de se divertir en provoquant gentiment le monde codé des adultes. Quelques personnages assez énigmatiques et bien brossés donnent du relief à ce récit : Emily, une lointaine cousine, Mr Mazzapa, « moitié sicilien, moitié autre chose » , Mr Daniels et son jardin à bord du bateau, Miss Lasqueti « probable vieille fille »,Sir Hector Da Silva le nabab du bateau… Sans compter la troupe Jankla, avec Sunil et la sourde et pâle jeune fille, Ashunta. Et un mystérieux prisonnier que ses geôliers sortent parfois du cachot pour une courte promenade nocturne. A côté de cette chronique plaisante mais un peu convenue, le premier morceau de bravoure est le récit d’un cyclone en plein Océan indien. Puis première escale à Aden où les aventures des garnements se corsent un peu. Et premier mort pendant la traversée de la Mer Rouge.
Sans raison apparente, le livre bascule en plein milieu. Le narrateur met en abyme toute cette histoire en évoquant ce que sont devenus, adultes, ces amis de bord, notamment Ramadhin. Avec ce changement brusque de registre, j’ai compris, alors, que cette jolie évocation d’un voyage plus ou moins initiatique devient l’histoire d’un moment fondateur de la vie du narrateur, voire même de l’auteur. Car Michael Ondaadje entretient soigneusement l’ambiguïté du narrateur qui pourrait être lui-même, bien qu’il s’en défende à la fin du livre, il joue à cache-cache avec sa réalité… Celle de l’homme ? Celle de l’écrivain ?
La seconde partie du livre est faite de va-et-vient entre la poursuite du voyage jusqu’à Londres et le regard surplombant de Michael quelques dizaines d’années plus tard. Certains sont morts, d’autres se sont éloignés irrémédiablement, d’autres encore ont fait partie de sa vie. La table des autres prend alors l’allure d’une recherche d’un temps enfui, d’un tissu déchiré que l’on essaie de ravauder…
Un dernier coup de théâtre avant de clore le livre : le drame enduré par le prisonnier…
Pourquoi ce livre, alors ? D’abord, à cause du grand talent de conteur de Michael Ondaatje : croquer des portraits, décrire des tempêtes, plonger dans le drame, évoquer le passé, dire le souvenir que l’on a du passé. Mais pas seulement : la narration en boucles de La table des autres m’a pris au piège pour me faire réfléchir à l’ambiguïté de la littérature, éternel miroir qu’un auteur tend vers son lecteur.
Du grand art !
Je n’ai rien lu de cet auteur dont vous parlez si bien. Je regarderai si ce livre est là quand j’irai à la bibliothèque en fin de semaine. Merci d’attirer ma curiosité – il y a tellement de livres à lire….
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