En quatre-cents trente pages de bande dessinée. Guy Delisle raconte l’enlèvement, la détention et l’évasion d’un homme travaillant pour une ONG humanitaire dans le Caucase en 1975, tels que lui a raconté l’otage lui-même, Christophe André. Le tout en vignettes minimalistes virant du gris clair au gris foncé. Dans une sorte d’apnée, je l’ai lu d’une seule traite en trois heures, happé en m’en tordre l’estomac, par le graphisme, le découpage, les angles de vue, la narration, les réflexions de l’otage, tout ce qui fait l’art et la manière de la BD, utilisé de façon terriblement efficace, enveloppant le lecteur dans cette longue et terrible attente d’une libération qui ne vient pas.
Avec tous les détails d’une vie quotidienne mortelle d’ennui et de souffrance physique et psychique, avec les scénarios que l’otage se forge, dans un univers dont il ne peut rien savoir mais qu’il cherche à déchiffrer, avec le désespoir qui succède à l’incrédulité, avec la terreur du gouffre de l’oubli qui alterne avec l’espoir d’une action déjà menée pour sa libération.
Livre d’une puissance tellurique car écrit, découpé et dessiné avec un total dénuement, miroir de la vie de l’otage, avec des vignettes aux multiples cadrages pour dégager l’immobilité, la répétition, l’attente, la solitude… et aussi tout ce dont l’otage essaie de se souvenir pour ne pas s’effondrer totalement.
A déconseiller à celles et ceux qui, dans la lecture, cherchent avant tout du réconfort ou de l’évasion. Personne n’est obligé de s’approcher de l’abîme. Pour les autres, une expérience émotionnelle hors du commun. Et une preuve supplémentaire de la plasticité de la BD pour évoquer toute expérience humaine. Qui en douterait encore ?
