Dès les premières pages, l’écriture âpre, précise et bousculée de Laurent Mauvignier s’impose, celle qui m’avait tellement séduit dans Des hommes paru en 2009, livre tranchant sur le comportement des militaires français à Alger pendant la guerre d’Algérie. Continuer débute avec une mère, Sybille, et son fils, Samuel, partis à l’aventure à cheval dans les montagnes de Khirghizistan. Ils font face à des voleurs de chevaux et sont sauvés de justesse par Djamila et Bektash qui passaient par là en voiture. « Continuer » est l’histoire de cette cavale entreprise par cette mère et son fils dans des terres inconnues et pas toujours hospitalières. Cavale voulue par Sybille pour tenter de sauver son fils en pleine errance psychologique et sociale et aussi pour se défier elle-même qui se considère comme paumée, ratée.
Continuer est un livre bâti en contrepoint : l’histoire d’une famille en état de décomposition avancée, celle de la cavale comme aventure rédemptrice de cette décomposition. Les chapitres vont d’un sujet à l’autre, évidemment liés mais dont les atmosphères sont profondément différentes. D’une part analyse psychologique et sociologique d’une famille éclatée de la France d’aujourd’hui, d’autre part, la chevauchée dangereuse et lointaine, qui débouche sur une situation de crise émotionnelle qui serait le moyen de dépasser ces malaises personnels et familiaux.
Dans les deux volets entremêlés du livre se retrouve cette écriture acérée, avec des dialogues au scalpel, des descriptions précises des états d’esprit comme de la nature, et, au-delà, une peinture des relations de pouvoir inhérentes à toute relation humaine, y compris – et surtout – dans la cellule familiale. Comme dans Des hommes, Laurent Mauvignier développe une prose de la tension avec des moments hors du temps, des courses folles, des rêves effrayants, la mort frôlée …
Continuer est riche de descriptions éclatantes des montagnes kirghizes, de nuit comme de jour, avec des chevaux, spectateurs et acteurs, véritables personnages du récit. Et riche, aussi, de deux portraits magnifiques. Celui de Samuel, le fils, en pleine déroute, en pleine recherche, colère comprise, découvrant sa mère comme femme, qui chemine entre plaies et bosses et finit par comprendre que « Si on a peur des autres, on est foutu », message peut-être trop explicite pour ce livre si subtil. Et le portrait magnifique de femme, Sybille, complexe, contradictoire, terrassée parfois, conquérante d’autres fois, rebondissant de doutes en défis. Une résistante pleine de fragilité, une résiliente pleine de doutes, trimbalant un passé écrasant d’autant qu’il est resté enfoui. Femme que le mal-être conduit au bout d’elle-même et qui parvient à se réhabiliter contre l’attente de tout son entourage.
Avec Continuer, Laurent Mauvignier signe un livre qui va vers l’espoir de la lumière, où les chevauchées dans les montagnes tentent de conjurer le passé, avec une écriture dense, tendue, sombre, épique parfois, intime souvent, intense toujours.
