Images et mots pour une tragédie sans fin

La guerre du Liban n’en finit pas : la démission récente des ministres proches du Hezbollah et les fréquents incidents frontaliers avec Israël rappellent la fragilité de la situation, qui ne ressemble pas à la paix.
Cette guerre dont l’atrocité a culminé au moment des massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982, a inspiré films et livres plus ou moins récents qui explorent les tourments des âmes et des corps de certains de leurs protagonistes.

Côté israélien, ce sont deux films qui m’ont frappé, l’un très connu, « Valse avec Bachir« , l’autre, nettement plus confidentiel, « Lebanon ».
Valse avec Bachir - photo Le PacteLe premier évoque, à travers les souvenirs fuyants et à éclipses d’un soldat israélien, le conflit qui a conduit aux massacres de Sabra et Chatila. Traité en grande partie en animation, ce film montre la culpabilité, d’abord refoulée, puis écrasante d’un jeune israélien impliqué dans les massacres de Sabra et Chatila…
Lebanon - photo CTV International« Lebanon » se déroule aussi pendant la guerre de 1982 vue par quatre jeunes soldats israéliens, enfermés dans leur char. Depuis le viseur, ils voient des femmes qui crient, des blessés, des morts. L’un n’ose pas tirer, l’autre tire, plus par trouille que par haine ou volonté de tuer. A 20 ans, ils se découvrent tueurs et complices d’une horreur qu’ils ne comprennent pas vraiment.

Ces deux films sont excellents d’un point de cinématographique : « Valse pour Bachir » a d’ailleurs obtenu de nombreux prix dans le monde, dont le Golden Globe Award du meilleur film étranger et le César du meilleur film étranger en 2009. Premier film à utiiliser l’animation pour un sujet brûlant de  notre époque, il rend palpable la plongée du soldat dans son amnésie et le poids de sa culpabilité. Dans « Lebanon », le parti-pris de ne voir que depuis l’intérieur du char représente exactement la façon dont la guerre s’est déroulée pour ceux qui étaient dans les blindés. Deux univers, l’un cloîtré, l’autre exposé, s’affrontent. Le combat est forcément inégal, même si le sentiment d’être le plus fort s’érode avec la culpabilité et l’incompréhension croissantes.

Dans ces deux films, l’ennemi apparait à travers des filtres : le soldat israélien ne semble pas vraiment être en contact direct, ni avec les soldats ennemis, ni avec la population civile. Cela rappelle la vision d’une guerre  « déréalisée », un peu comme dans les jeux électroniques. L’ennemi n’est-il qu’un robot ayant perdu son épaisseur humaine ? Est-ce pour rendre plus acceptable par le simple soldat israélien le fait de combattre en tuant, ou en protégeant ceux qui tuent ?
Soldats israéliens (Photo Reuters)Ces deux films donnent le regard du soldat « de base », sa terreur et sa culpabilité face à ce qu’il a fait, jeune conscrit qui passe trois ans de sa vie au service de tsahal. Pour une tentative de rédemption ? Cela n’a rien à voir avec le regard du commandement, encore moins celui du gouvernement. Le cinéma israélien, du moins celui que l’on peut voir en France, ne cesse de remettre en cause la politique et la stratégie militaire de l’Etat d’Israël.

Dans cette guerre, les Israéliens, soldats et civils, sont davantage à l’abri, comme en témoigne le nombre très réduit de victimes dans les rangs de tsahal. Il ne s’agit pas de leur en faire le reproche. Mais le fait d’être invaincus leur donne l’illusion d’être vainqueurs. Mais la victoire ne se joue pas seulement sur les champs de bataille : c’est l’une des leçons de ces deux films.

Côté libanais, c’est un livre et un film qui ont retenu mon attention.
De Niro Game - Rawi Hage - DenoëlLe livre est « De Niro’s Game » du canadien-libanais Rawi Hage (Denoël), publié en France en 2008. C’est l’histoire d’une amitié entre deux adolescents, Georges et Bassam. Dans Beyrouth en guerre, ils tentent de survivre tant bien que vaille. Ils s’essaient à des trafics plutôt minables d’alcool et de drogue. Pas d’avenir. Pour tenter de sortir de l’ornière, ils tentent une magouille à grande échelle. Bassam souhaite simplement quitter le Liban avec sa petite amie. Georges se rapproche des milices chrétiennes, celles qui allaient perpétrer les massacres de Sabra et Chatilla. Les destins des deux amis se séparent, se recroisent, s’affrontent…
C’est un livre sur l’amitié qui se brise face à la brutalité qui règne. Mais aussi et surtout un récit sur cette brutalité qui broie sans rémission les sentiments et les volontés. Elle conduit à une déreliction des rapports humains, que ce soit dans l’amitié ou dans l’amour. Avec une langue violente, hachée, dure, avec des phrases courtes et séches, les nerfs du lecteur sont mis à l’épreuve. Le dénouement de l’amitié entre les deux jeunes hommes a quelque chose d’effrayant.

Incendies - Photo HappinessLe film, c’est « Incendies« , du canadien Denis Villeneuve, d’après la pièce éponyme de l’écrivain et metteur en scène libano-canadien Wajdi Mouawad. Même si l’intrigue débute à Montréal, l’essentiel de l’action se déroule dans un pays du Proche-Orient qui n’est pas nommé mais qui est, à l’évidence, le Liban, toujours au moment des massacres de Sabra et Chatila. Après la mort de leur mère au Canada, WAJDI MOUAWAD - crédit photo Mathieu Girarddeux jumeaux, frère et soeur, doivent retrouver leur père et leur frère. A cette occassion c’est toute la vie de leur mère qu’ils découvrent. Elle a eu un destin des plus chaotiques : jeune chrétienne cherchant le dialogue entre les différents protagonistes du conflit libanais, elle est révoltée par les exactions des milices chrétiennes. Elle en arrive à partager la cause des « réfugiés » comme il est dit dans le film, en clair, les Palestiniens. En franchissant cette frontière, elle brouille les pistes, devient terroriste et prisonnière de guerre. L’intrigue, très fouillée, permet de révéler toute la complexité de la situation libanaise. Ce film est d’une rare violence, parfois difficile à regarder. Sauf que l’on se dit que cela n’est probablement qu’un reflet atténué de la réalité …

Au contraire de la vision israélienne, il n’y a pas d’écran, ni de filtre : « De Niro’s game » et « Incendies » permettent de toucher, sentir, voir. Les bombes explosent, la torture hurle, les chairs et les âmes sont meurtries, lacérées, anéanties. Le lecteur et le spectateur sont au milieu du déchainement de cruauté et de brutalité.

Ces trois films et ce livre illustrent ce qui peut apporter la fiction par rapport au reportage pour parler des tragédies de notre monde. Ils donnent une vision plus complexe et plus subjective de ce conflit sans être des leçons de politique, et encore moins des oeuvres de propagande. Ils sont un autre moyen pour essayer de mieux comprendre.

sabra_23.1295824116.jpgA ce stade, comment ne pas penser à Jean Genet ? A « Quatre heures à Chatila« , court texte écrit par Genet juste après avoir parcouru le camp de Chatila où les cadavres des victimes du massacre perpétré par les milices chrétiennes sous l’oeil approbateur de l’armée israélienne étaient à peine refroidis. 
Ce texte, saisissant mélange de reportage parfois clinique sur les cadavres découverts juste après le massacre, de réflexions sur la révolution palestinienne, d’évocation quasi-élégiaque des camps de fedayin en Jordanie, finit par ce paragraphe : 
Jean Genet« Au retour de Beyrouth, à l’aéroport de Damas, j’ai rencontré de jeunes feddayin, échappés de l’enfer israélien. Ils avaient seize ou dix-sept ans : ils riaient, ils étaient semblables à ceux d’Ajloun. Ils mourront comme eux. Le combat pour un pays peut remplir une vie très riche, mais courte. C’est le choix, on s’en souvient, d’Achille dans l’lliade. » 

Chez Genet, le discours militant et l’implacable réquisitoire se nourrissent d’accents tragiques universels et de notations très personnelles, dans une langue dont la beauté reste cristalline.

2 commentaires sur “Images et mots pour une tragédie sans fin

  1. Liban, Palestine… ça n’en finira pas. Genet m’évoque Hessel… pourtant deux personnages bien différents. Nous revivons aujourd’hui les scandales et polémiques causés par Genet (le Genet des Paravents) lorsque S. Hessel fait une chose aussi innocente que vouloir tenir une réunion à l’ENS ou quand il apporte son soutien à la campagne de boycott des produits d’Israël…

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