Eblouissement

Peinture 202x452 cm, 29 juin 1979 -  Dityque- Huile sur toile
C’est totalement par hasard que j’ai découvert Soulages il y a une vingtaine d’années. Je me baladais au Louvre où il y avait une exposition temporaire sur les polyptiques. J’y suis allé en espérant y admirer ceux du Moyen-Age. A l’entrée, un grand tryptique noir, fait des striures et de reflets. Un véritable éblouissement… J’ai tourné autour un bon quart d’heure avant de me décider à visiter cette expo dont je n’ai absolument aucun souvenir. J’y suis retourné après avoir parcouru l’expo, pour me laisser subjuguer par ce noir. Ce fut l’une des trois ou quatre fois dans ma vie où j’ai été saisi devant un tableau. D’autant que, là, je ne m’y attendais pas du tout… 

Parfois, je me demande si ce que je viens d’évoquer est vrai ou bien si je l’ai rêvé. Mais cette impression d’éblouissement, d’autant plus intense qu’il était parfaitement inattendu, comment aurais-je pu la rêver ?

Conques - vitrail de Soulages  (photo Françoise Mulot)L’autre rencontre avec l’oeuvre de Soulages, c’était à Conques, à la fin d’une journée d’été. J’allais voir mon frère et ma belle soeur dans le Sud Ouest et j’avais prévu de faire une courte halte à Conques où Soulages venait d’installer les vitraux de l’abbatiale. Le dernier car de touristes quittait le village quand je suis arrivé. Tout y était calme. Je suis entré dans l’abbatiale, magnifique chef d’oeuvre roman. Une lumière nimbée habillait l’espace, celle que laissait passer les 104 vitraux tous différents et tous semblables… Je n’ai quitté Conques que le lendemain matin, voulant me laisser habiter par le doux éblouissement de cette lumière si simple, si évidente, si belle…

Je suis allé voir l’exposition du Centre Pompidou, extrêmement bien accrochée, laissant dérouler le cheminement du peintre, avec comme point d’orgue, la dernière salle où les grands polyptiques sont suspendus, salle d’une surprenante légèreté qui émane de ces ensembles monumentaux : le noir s’y impose, le noir s’y expose, le noir s’y propose.
Le noir s’y impose, du fait du caractère impressionnant de ces polyptiques quand on pénètre dans cette salle comme si l’on entrait dans le Saint des Saints éclairé du temple de Soulages.
Le noir s’y expose, presque sans pudeur puisque chacun peut tourner autour, s’approcher,  reculer, sans toucher quand même.,. A l’inverse de nombreux chefs d’oeuvre tenus à distance de la foule et des admirateurs comme des stars protégées par un service d’ordre et une nuée de paparazzi, ces monumentaux polyptiques s’exposent en toute intimité et se laissent interroger et deviner.
Le noir s’y propose en offrant sa matière, ses reflets, ses brisures, ses textures, ses accidents, sa perfection. Le spectateur, en devenant plus intime, peut nouer le dialogue avec lui…

Soulages 2008 (photo venant du site documentaire sur Pierre Soulages)

Evidemment, je ne pouvais pas ne pas penser à Mark Rothko, que Soulages avait rencontré à New-York, peu de temps avant sa mort. Et à Fabienne Verdier dont l’approche est différente mais « où le trait noir possède une puissance expressive qui dit l’essentiel« .
Et comment ne pas pleinement approuver ces paroles de Soulages que j’ai entendues dans l’audioguide remarquable qui accompagne l’exposition : « Ce qui est important, ce n’est pas l’idée, ni la représentation, mais la pratique poétique du spectateur. »

Mais ai-je vraiment entendu ses mots où bien les ai-je révés ? Je ne sais plus… Eblouissement ? Envoûtement ?

4 commentaires sur “Eblouissement

  1. Magnifique! le deuxième tableau en particulier, même si évidemment cela rend mal sur un écran d’ordinateur, et le vitrail aussi, et le récit de ton éblouissement. Quand pars-tu?

    J’aime

Répondre à Dominique Hasselmann Annuler la réponse.