Ang Lee est un cinéaste prolifique. Depuis presque vingt ans, il bâtit une oeuvre apparemment disparate, touchant à tous les genres, balançant entre la Chine (Tigre et Dragon) et les Etats-Unis (Le secret de Brokeback Mountain), avec quelques détours en Europe (Raison et sentiments) où ses films sont régulièrement couronnés (Berlin, Venise).
Son dernier film, Hôtel Woodstock, qui sort au moment du 40ème anniversaire de ces trois journées culte de toute une génération, décevra celles et ceux qui y chercheront un témoignage musical des concerts donnés à cette occasion. D’ailleurs, la bande-son est loin d’être inoubliable.
Tant mieux, car ce n’est pas le sujet. C’est plutôt Woodstock vu par les coulisses : Ang Lee raconte histoire de son organisation bordélique et réussie, en partant des souvenirs véridiques d’ Elliot Tiber qui se retrouve, quasiment par hasard, organisateur de cet incroyable manifestation dont les promoteurs attendaient à peine 100 000 participants. Il y en eu plus de 500 000 !
Quel intérêt, me direz-vous ? Loin d’être une success story classique, c’est plutôt une succession d’arrangements de bouts de ficelle, de compromis hasardeux, guidée par un seul moteur, le désir. Pas seulement celui de gagner de l’argent, mais aussi et surtout d’ouvrir toutes les digues à toutes les aventures possibles, en lâchant prise face au déversement de la foule qui est là juste par le désir d’être heureux : qu’importe le moyen d’y parvenir, qu’importe le temps qui passe, cela restera inoubliable, même dans la boue et sous la pluie.
C’est là qu’on s’aperçoit que Woodstock est le climax d’une époque, étoile filante fugace dans le 20ème siècle, à jamais perdue, même si l’on y voit déjà des préoccupations actuelles, d’ordre écologique entre autres. Qui pourrait imaginer qu’un tel rassemblement puisse encore avoir lieu, à l’heure du principe de précaution, du politiquement correct, d’une bureaucratie envahissante, armes brandies face à un désir jugé dangereux s’il n’est pas étroitement contrôlé ?
Je retrouve, dans Hôtel Woodstock, ce qui fait le fil rouge de la filmographie d’Ang Lee : des variations sur le désir, qui s’exacerbe quand il doit surmonter l’opposition qu’il rencontre toujours. Ce désir permet d’affirmer ses choix et d’assumer sa propre personnalité, malgré les interdits de la société, malgré la tradition, malgré la différence des cultures. Mais le désir peut être aussi un piège tendu quand il est bafoué, comme dans Raison et Sentiments ou instrumentalisé comme dans Lust, Caution, son film le plus sombre, mais peut-être mon préféré.