Courtes échelles pour la philosophie

La philosophie semble bénéficier d’un certain engouement depuis quelques temps, comme le montre le succès du mensuel Philosophie magazine, dont on voit fréquemment la couverture en devanture des kiosques. J’y vois une saine réaction vers une recherche de réflexion face au déluge d’informations instantanées et à la mise en scène d’actualités où régnent sans partage les émotions à fleur de peau.

Mais, quand je tente d’approfondir la réflexion philosophique, cela me demande un effort intellectuel qui semble bien souvent dépasser ma capacité et/ou ma paresse. D’où la tentation de chercher des « courtes échelles » pour permettre d’approcher quelques sommets. Philosophie magazine en est une, comme le sont aussi deux livres, Platon et son ornythorynque entrent dans un bar, sous titré La philosophie expliquée par les blagues, des Américains Thomas Cathcart et Daniel Klein (aux éditions Seuil), et Philosophie en séries du Français Thibaut de Saint Maurice (aux éditions Ellipses).

Couverture du numéro 31 de Philosophie magazineDans le dernier numéro de Philosophie magazine, numéro d’été, on peut voir en couverture une très belle photo d’un dos nu féminin pour annoncer le dossier L’âme et le corps, et aussi en bandeau de bas de page l’éclatante beauté de Brigitte Bardot qui figure dans le sommaire sous la rubrique Philosophes avec une interview exclusive commentée par Marcel Conche, qui, lui, est un philosophe dûment reconnu comme tel. Avais-je bien acheté Philosophie magazine ou Elle ? En tout cas, le premier article que j’ai lu est bien celui de l’interview de Bardot !
Rien de neuf, en définitive, car elle avait déja longuement raconté sa haine de l’espèce humaine. Elle le refait avec l’amplomb de celle qui n’a plus rien à perdre mais sans répondre aux questions qui fâchent sur ses positions racistes et d’extrême-droite. Voir dans ses propos des échos de Cioran semble tout de même exagéré. S’il suffisait de proclamer sa détestation de ce monde pour être philosophe, la terre compterait au moins trois milliards de philosophes !
En contrepoint, Marcel Conche commente les réponses de BB : quelle déception ! Ce grand philosophe erre entre la demie approbation au sujet des propos sur la nature et la demie opposition quand BB exprime son dégout de ce monde. Il ressemble à un admirateur fasciné et paralysé face à la star et n’apporte guère d’autres éclairages philosophiques. Craignait-il de s’attirer les foudres de celle qui a été « la plus belle femme du monde » ? Quel dommage !

Couverture de Platon et son ornithorynque...Les deux philosophes américains, Thomas Cathcart et Daniel Klein, tentent d’aborder les grands concepts philosophiques en les illustrant par des blagues. Le sommaire laisse paraître le sérieux du dessein des auteurs : Métaphysique – Logique – Epistémologie – Ethique – Philosophie de la religion – Existentialisme – Philosophie du langage – Philosophie sociale et politique – Relativité – Métaphilosophie … Tout ça en moins de 250 pages et en un centaine de blagues (je ne les ai pas comptées).
C’est très drôle ! Je me rappelle avoir lu une partie de ce livre en train lors d’un voyage avec des amis : les autres passagers ont dû se demander quelle était cette bande de quatre hystériques qui n’arrivaient guère à se retenir de hurler de rire ! Mais philoblaguer conduit-il à philosopher ? Je me rappelle quelques unes de ces blagues mais plus du tout à quel concept ou quel courant philosophique elles se rattachent. D’autant que les explications entre deux blagues sont souvent écrites avec une plume de plomb.
Ceci étant, la lecture de ce livre apporte un vrai moment de rigolade. Et peut aussi, pour les plus sérieux, servir de marche-pied pour commencer l’escalade des hauts reliefs de la philosophie.

Couverture de Philosophie en sériesLes séries américaines télévisées font partie de notre univers et sont un des sujets de conversations favoris dans les réunions familiales et les repas entre amis. Les meilleures d’entre elles peuvent être considérées comme des chefs d’oeuvre au même titre que certains grands classiques du cinéma. Pour ma part, le dernier épisode de la dernière saison de Six Feet Under est une des plus impressionnantes et des plus belles scènes cinématographiques que j’ai jamais vues…
Ce ne sont pas simplement l’intrigue ou les caractères de principaux personnages qui retiennent l’attention du public. Il y a des résonnances qui sont bien plus profondes que la simple identification aux héros, qui est d’ailleurs quasi impossible (pas facile de s’identifier au docteur House ou à une famille de croquemorts califormiens !). Et pourtant, on reste accroché. La fin d’une saison est le début d’une impatiente attente de la prochaine.
Professeur de philosophie en lycée, Thibaut de Saint Maurice raconte comment il a pu retenir l’attention très volatile de ses élèves sur le thème du raisonnement expérimental en s’appuyant sur Dr House. D’où l’idée du livre.
Les principaux personnages de Six Feet UnderA partir de 13 séries, l’auteur étudie 18 notions de philosophie qui sont dans le programme de Terminale. C’est donc bien d’un ouvrage pédagogique qu’il s’agit. Mais en s’appuyant sur ces séries qui sont parmi les plus célèbres, ces notions philosophiques deviennent beaucoup plus compréhensibles mais sans démagogie : des passages entiers d’Aristote, Descartes, Kierkegaard et Levinas, entre autres, sont cités et expliqués. Et éclairés grâce à la référence à Grissom (Les Experts), Christian Toy et Sean McNamara (nip/tuck), la famille Fischer (Six Feet Under) et Dexter. C’est passionnant, cela se lit lentement mais sans peine grâce à la clarté du propos.
Le résultat n’est pas seulement de donner envie de voir ou revoir les séries évoquées. Mais aussi de commencer modestement mais peut-être résolument à grimper les pentes ardues des textes philosophiques.

Mais pourquoi toujours filer la métaphore de l’escalade à propos de la philosophie. Celle de la marche n’est-elle pas plus appropriée ? Et Georges Picard n’est-il pas le meilleur compagnon dans cette marche ?

8 commentaires sur “Courtes échelles pour la philosophie

  1. salut Jean-Marie… je vois que tu as bien occupé ton 14 juillet!
    je ne crois pas que je vais lire Philosophie Magazine… un peu trop racoleur, par contre le bouquin de blagues… un autre petit livre (en Livre de Poche) pour aborder les pbs philosophiques avec le sourire est « 39 petites histoires philosophiques d’une redoutable simplicité » par Roberto Casati et Achille Varzi

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  2. j’ai feuilleté le livre dont tu parles (les blagues). Le texte entre les blagues est en effet plutôt lourdingue, et toutes les blagues ne sont pas très drôles… mais il y en a une qui, pour moi, rachète toutes ces imperfections, c’est celle du cow boy et de la lesbienne! 🙂

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  3. Marcel Conche est maintenant un grand vieillard… Il a été mon presque voisin.
    Malgrès tout ce qu’il a écrit d’inabordable intelectuellement pour moi,( je n’aurais jamais rien d’autre qu’une gigantesque déference), en face à face il est devenu un homme peut-être fragile, vieilli, un peu conservateur, « facilement » ému… Un grand homme d’un grand âge… Il lui est sans doute plus facile d’écrire et de réfléchir avec du temps que lors d’une interview, d’une conversation… La sénéscence…
    Et puis franchement, BB pour un jeune homme né en 22… Sans doute ne pouvons nous pas nous mettre à sa place, un philosophe n’a t’il pas le droit d’avoir de faiblesses? …
    Pour moi c’est (entre autre) votre blog qui m’aide à réfléchir, alors encore une fois: merci.

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  4. Hi, hi…
    J’avais essayé Philosophie magazine, parce que c’est dans mes cordes et parce qu’il y avait E Badinter, il y a quelques mois, qui y parlait de la famille… Aïe, aïe, aïe, je n’ai retenu que quelques photos… Assez vide, pour ce numéro là en tout cas…Même pour moi qui avait oublié de lire pendant huit ans! Et effectivement, au prix du papier, j’aime mieux achetter des livres pour enfants!

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  5. @ Alain : entièrement d’accord sur la blague du cow-boy et de la lesbienne, c’est quasiment la seule dont je me souviens !!!!
    @ Galoune : tous les numéros de Philosophie magazine ne sont pas de la même eau : le dossier principal de celui où E. Badinter parlait de la famille avait pour nom « Pourquoi fait-on des enfants ? » Il se trouve qu’il est paru juste au moment où ma fille accouchait de son deuxième enfant. Ce n’était pas le meilleur (pas l’enfant, mais le numéro de Philomag). L’un des problèmes de cette revue est souvent sa forme presque trop parfaite, qui frise le racolage, comme le dernier numéro sur le corps et l’âme. Mais il y a a toujours à trouver quelques pépites dans les textes, dont le but est, justement, d’encourager à aller plus loin. Ils favorisent l’insatisfaction.
    Concernant Marcel Conche, (dont je ne connais quasiment pas l’oeuvre mais juste la réputation), je suis d’accord avec votre remarque. La lecture de ses commentaires me faisait penser à ce tableau de Degas où un vieil homme regarde avec envie et regret une jeune danseuse. Conche voyait visiblement encore la resplendissante BB et non celle dont le visage inspire maintenant de la pitié, quand ce n’est pas du dégoüt. Comme je n’ai pas voulu appuyer sur la « sénescence » du philosophe, du coup, ma remarque n’en est que plus sévère !
    Vous m’intimidez en disant que mon blog vous aide à réfléchir. Je suis si futile …

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  6. Bonjour !
    J’adore vos commetaires à tous ! Bon qui se lance pour nous raconter l’histoire du cow boy et de la lesbienne ? J’adore l’aparté de Galoune sur la vie du philosophe…. « pour en être dévot, je n’en suis pas moins homme ! »
    personnellement, ce genre d’échelle je la prend régulièrement, enfin à ma façon… à l’occasion, un journal racoleur, une bonne blague, ou un petit film de série B peuvent très bien être une occasion pour philosopher, qui n’est jamais ressorti d’un film avec un ami sans aller prendre un verre, et parler pendant des heures, à propos du film et puis de la vie. tout est bon pour croquer le fruit de l’arbre de la connaissance. et c’est ce que j’aime bien sur les blogs de Jean-Marie et d’Alain. A plus.

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  7. M’aider à penser… des choses à ma portée, mais avec culture et bon sens… A l’interieur de moi il y a des choses que je ne sais pas faire émerger… Avec ce blog -pas pédant- j’ai comme le droit de penser, d’où je suis… et ma pensée autorisée émerge là où je me contentais des gestes du quotidien, j’arrive maintenant à m’entendre…
    Je ne sais pas, ne le prenez pas mal, vous avez le regard de mon papa, et cela dès que j’ouvre la page… Un homme pour qui la culture est douce comme le miel puis amère comme le fiel, une dévotion pour LA connaissance, mais qui n’oublie jamais de s’asseoir à la hauteur des autres.
    Ceci plus cela et voilà disait le formule magique…

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  8. Merci à Carole et à Galoune pour leurs commentaires…
    @ Galoune : je ne prends pas mal du tout quand vous dites que j’ai le regard de votre papa, d’autant qu’il semble être un homme bien, en lisant ce que vous dites de lui ; quant à l’âge, il est des jours, pas tous, où j’assume très volontiers mes prochains 60 ans. Et j’aime tellement être père et grand-père…
    @ Carole (et les autres …), voici l’histoire du cow-boy et de la lesbienne (page 52) :
    Un vieux cow-boy entre dans un bar et commande un verre. Il est en train de boire traquillement son whisky quand une jeune femme s’assied à côté de lui et soudain lui demande : « Vous êtes un vrai cow-boy ? »
    Il répond : « Ma foi, j’ai passé toute ma vie dans un ranch, à m’occuper des chevaux, à réparer des clôtures et à marquer du bétail, alors je crois bien que j’en suis un. »
    Elle dit :  » Moi, je suis lesbienne. Je passe toutes mes journées hantées par des images de femmes. Dès que je me lève, je rêve de femmes. Que ce soit sous la douche ou devant la télé, il me semble que tout m’évoque des femmes. »
    Peu après, un couple s’assied à côté du vieux cow-boy et lui demande : « Etes vous un vrai cow-boy ? ».
    Il répond : « Je l’ai toujours cru, mais je viens de découvrir que je suis lesbienne »

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