Ne suivant pas de près l’actualité littéraire, je n’avais pas remarqué la sortie du dernier livre de Cormac McCarthy, La route (Editions de l’Olivier) jusqu’au jour où mon gendre m’en a parlé, encore très ému, en disant que c’était « le meilleur livre qu’il n’aie jamais lu » (et il en lu beaucoup). Valérie Le Louarn, qui tient avec son mari Benoît la Librairie du Renard à Paimpol, m’a confié qu’elle « avait vérifié si son fils dormait toujours dans sa chambre » quand elle l’eut terminé.
J’ai mis d’ailleurs longtemps avant d’ouvrir ce livre, ne voulant pas être trop occupé si ce livre me prenait complètement, mais craignant d’être seul si jamais il pouvait me donner le cafard.
Le livre est assez terrifiant, en effet, puisqu’il se passe après une sorte d’apocalypse où un père et son fils essaient de survivre en suivant une route et en évitant toute rencontre, que ce soit des « gentils » ou des « méchants ». Tout le long du récit, l’horreur d’un monde carbonisé est omniprésente, fait de cendres et de pluie ou de neige mélangées. La lumière vire du gris au noir, y compris au bord de la mer, but de cette longue marche. La lutte contre la faim, la soif, le froid, l’eau, la peur de toute rencontre qui peut être fatale, sont détaillées avec une grande précision, ponctuées d’échanges entre l’homme et le petit. Ces dialogues, souvent répétitifs, qui semblent tourner en rond, sont le plus extraordinaire de ce livre. La répétition est indispensable pour se rassurer l’un l’autre, se faire confiance, se pardonner, s’expliquer, se donner courage, s’esquiver… Des tensions apparaissent, leur relation change, mais l’amour reste. La fin est poignante, presque trop …
Ce fut une expérience de lecture très étrange : ce n’était pas une partie de plaisir, loin s’en faut. Comme il n’y a que des paragraphes mais pas de chapitres, on s’arrête là où on veut, là où on peut, là où le livre tombe parfois des mains … Quand je le reprenais, c’était toujours avec un peu d’effroi, ne sachant plus trop où j’étais, perdu comme l’homme et son petit. Est-ce pour cela que, progressivement, je me suis senti solidaire de ces deux là ? Arrêter la lecture, c’était comme les abandonner. La reprendre, c’était les accompagner en espérant que la chance leur sourirait. En les suivant dans le détail de leur lutte pour survivre, dans la répétition de leurs échanges, j’avais l’impression d’être leur « ange gardien », comme si mes yeux courant sur les pages de ce livre pouvaient leur éviter le pire.
Le lecteur est toujours un des personnages du livre qu’il lit : rarement je n’ai eu autant cette impression qu’en lisant La route.
Cette marche sur cette route me fait penser aussi à cette métaphore reprise récemment par mon ami Alain dans son récent billet, Chaque année sa peine : en l’évoquant pour parler de la réflexion et de l’écriture, il insiste sur la nécessité de la préparation quotidienne. Dans La route, la description de cette préparation à leur déambulation est hallucinante. Toutes les précautions doivent être prises, depuis la vérification du chargement du revolver jusqu’aux sacs plastiques qui leur servent de chaussures et le contenu des boîtes où ils pourraient trouver à manger. Leur vie, extrêmement précaire, se concentre dans ces préparations. Mais l’imprévu arrive, un jour ou l’autre. Les vies de l’homme et de son fils sont ballottées entre préparatifs minutieux et imprévus dangereux. A quoi cela sert-il de prévoir ? Faut-il se préparer au pire qui n’arrive pas toujours ? Cela renvoie à l’actualité, comme les prépararatifs pour lutter contre la grippe A. Et à l’histoire récente : au moment où sont célébrées les 40 ans de l’arrivée de l’homme sur la lune, on se rappelle combien c’est la réaction à l’imprévu qui a sauvé certaines expéditions Apollo, malgré les multiples préparatifs ?
Balancement continuel entre le préparé et l’imprévu …
Cette odyssée de cet homme et de son fils dans un monde au delà de sa fin est aussi celle de la relation entre un père et son fils. Un père qui pense bien sûr à protéger son fils, à lui permettre de survivre dans des conditions atroces, en lui épargnant les visions les plus épouvantables, en prenant lui-même tous les risques. C’est le père qui prend toutes les décisions, parfois contre l’avis de son fils qui a terriblement peur et parfois pitié. C’est le père qui décide de trancher les dilemnes moraux épouvantables sur le sort à donner aux quelques êtres rencontrés, en mettant de côté toute considération morale, avec comme seul objectif leur propre survie.
Mais tout bascule quelques dizaines de pages avant la fin. A l’affirmation du père « C’est pas toi qui dois s’occuper de tout« , le fils répond, « le visage mouillé et sale : si, c’est moi » (page 229, Collection Points). Le fils prend le relais, le père commence à s’effacer.
Une histoire de transmission, comme ultime défi dans un monde qui n’a plus de sens.
Alors vivement mes congés!!!
A moins que je ne l’offre à mon mari…
La transmission, d’un père à son fils sans qu’aucun des deux n’en n’ai forcément conscience, c’est … J’ai pas le mot… entre fondamental et étayant…
Un jour, quand on atteint l’âge auquel on a connu ses parents, on se rend compte que finalement, il y a quelques ressemblances!
Un jeune grand-père sans charge d’éducation, que souhaite t’il transmettre? Qu’attend t’on qu’il transmette?
Bonne journée à vous!
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C’est justement l’avantage d’être (jeune ?) grand-père : on n’a plus guère d’obligation de transmettre, car on a passé le relais à ses enfants. C’est à eux de commencer le travail de transmission. Le grand-père regarde juste les yeux à demi ouverts pendant sa sieste si tout va bien. Et cherche à réconforter quand quelque chose cloche. Sans juger, si possible …
C’est le réconfort qui devient le plus important.
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Transmission de tendresse, de sécurité, de sérénité… Il y a là quand même un message quant au chemin à suivre, non? Un message qui tiendrait du modèle de savoir-être vivre, savourer, se poser…
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ben dis donc, va falloir que je le lise! (j’avais fait le snob jusqu’à présent…), ça me rappelle un peu les BDs d’Enki Bilal (la dernière surtout, Animalz, je crois… brrr pas drole du tout…)
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bravo pour les illustrations du billet.
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Bon, c’est vrai, il y a quelques autres bons livres en ce bas-monde, mais celui-là est d’une puissance quand même assez incomparable, je persiste et je signe. Le dernier paragraphe, un peu mystique, est peut-être le passage le plus fascinant ; j’ai encore rien compris, mais c’était drôlement bien.
Bravo aussi pour les illustrations…
Sinon, pour glousser un peu après ces torrents de noirceur, voir Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates ! (« Absolument délicieux », comme dit A. Gavalda, une référence mondiale).
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Je vous découvre par le biais de Carole. J’ai lu et beaucoup aimé l’écriture de « La route ». Je n’avais jamais lu cet auteur et j’ai été séduite par un article qui en parlait. J’aimerais d’ailleurs lire d’autres livres de lui.
J’aime aussi énormément la Bretagne….Si loin…Je ne sais pas pourquoi je tombe régulièrement sur un univers qui en parle…
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