C’est toujours regrettable d’attendre la mort d’un auteur pour lire un de ses livres. Attiré par la littérature sud-africaine par J.M Coetzee, je connaissais l’existence d’André Brink en me promettant de le lire sans tarder. Il a fallu qu’il meure pour que je me précipite dans ma librairie favorite pour acheter son livre le plus célèbre au titre qui claque comme une explosion en plein désert, « Une saison blanche et sèche ».
Ce livre a été écrit en 1979, époque où l’apartheid régnait en maitre dans l’Union Sud-Africaine. Trois ans avant, le 16 juin 1976, ont eu lieu les émeutes de Soweto, faubourg de Johannesburg regroupant environ deux millions de noirs dans des conditions misérables. Une manifestation de 10 à 20000 écoliers et lycéens a été très durement réprimée, les forces de police tirant à balles réelles. D’autres manifestations ont eu lieu dans d’autres townships sud-africains. On estime qu’il y eu plus de 500 morts parmi la population noire. Les leaders du mouvement noir furent emprisonnés. Ces émeutes ont eu un retentissement international et ont entrainé le boycott économique et politique de l’Afrique du sud par la communauté internationale.
« Une saison blanche et sèche » se place au cœur de ces événements. Ben Du Toit est professeur d’histoire afrikaner dans la banlieue blanche de Johannesburg. Marié avec Susan, avec deux enfants, Suzette et Linda, il vit selon les habitudes des blancs mais avec un certain recul : homme assez secret, il ne cherche pas à faire carrière et garde une certaine retenue. Sa vie bascule quand le jardinier noir de son école, Gordon Ngubene, lui apprend que son fils Jonathan, n’est pas revenu d’une manifestation. Après quelques jours d’angoisse et de recherche qu’il partage avec Gordon et sa femme Emily, il apprend que Jonathan est mort dans sa cellule de prison, « de causes naturelles ». Plus tard, ce sera Gordon qui subira un sort semblable. Ben veut savoir la vérité. Il le paiera de sa vie, alors qu’il est proche de pouvoir la révéler. Entre temps, il se marginalise totalement de son travail, de sa famille, de son milieu.
C’est tout ce parcours que ce livre raconte. Il le fait de façon passionnante. La narration est portée par un professeur ami de Du Toit, qui recueille et classe toutes les preuves collectées après sa mort. Ainsi, Brink donne la parole aux multiples protagonistes de l’histoire et utilise différents modes de narration, donnant à son récit une épaisseur humaine et une richesse littéraire singulières. Le combat perdu de cet homme comme les autres n’est pas montré sous l’angle du héros conscient de sa bravoure, mais sous celui d’un être pris dans un enchainement inévitable dans lequel il cherche des alliés, parfois inattendus. Il se détache de sa famille et de son milieu comme une sorte de libération progressive. Plus il avance dans ses recherches, plus il est certain de sa vérité, plus il noue de nouvelles solidarités, plus il s’éloigne des siens qui tentent de l’en dissuader, puis le laissent s’égarer à leurs yeux. Ben Du Toit passe dans l’autre camp et franchit une frontière interdite en recherchant les preuves des crimes commis par la police et la justice sud-africaine. Il se retrouve seul blanc à Soweto, à ses risques et périls. Il meurt dans un accident de voiture qui n’est en rien le résultat d’un hasard.
L’histoire de Ben Du Toit n’est pas un destin individuel, elle est un présage de l’évolution d’un pays qui, quinze ans après, sous la pression internationale et intérieure et au travers de luttes politiques intenses, desserrera l’étau de l’apartheid et portera Nelson Mandela à sa tête.
Livre politique au meilleur sens du terme, livre romanesque profondément ancré dans la réalité, servi par une prose colorée et multiforme, imagée et vivante, « Une saison blanche et sèche » est un vrai chef d’œuvre. Et donne envie d’ouvrir d’autres livres d’André Brink.
Ce roman a été porté à l’écran en 1989 par la martiniquaise Euzhan Palcy, avec parmi les acteurs principaux, Donald Sutherland , Marlon Brando et Susan Sarandon.

intéressant
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