Michel del Castiilo écrit-il toujours le même livre ? Question rituelle tellement on retrouve les mêmes thèmes dans la quasi totalité de ses livres : l’enfance bafouée et trahie par une mère fantasque, trop belle et trop égoïste, sur fond de guerre civile espagnole et de camps de détention pendant la deuxième guerre mondiale, le retour sur cette enfance et les tentatives de résilience. En commençant « Mamita » (Editions Fayard), j’ai tout de suite retrouvé ces thèmes, développés par un pianiste virtuose au crépuscule de sa vie. A cet âge, on commence à avoir un certain surplomb sur sa propre vie, mais est-ce à dire que ses blessures sont cicatrisées ?
C’est la question que Michel del Castillo aborde dans « Mamita ». Et s’il a pris le masque du pianiste, c’est pour à peine dissimuler l’écrivain épris de musique qu’il est. Je reconnais que j’ai failli laché dans les premières pages tellement j’ai eu l’impression de me retrouver en terrain trop connu. Mais rapidement, la magie « del Castillo » opére. Je me suis demandé à quoi pouvait-elle tenir.
D’abord, une langue claire, élégante, sans affectation, un langue qui n’est pas un écran, même somptueux, dans lequel on se cogne, mais une passerelle qui conduit à son propos, ses sentiments, des passions, sa rage, ses pleurs. C’est tout naturellement que j’ai partagé le souvenir de ses frayeurs d’enfant balloté et finalement abandonné ; c’est évidemment que j’ai partagé ses questions de vieil homme qui n’a cessé de chercher la clé qui pourrait le délivrer de la prison psychologique dans laquelle sa mère l’a enfermé. Pourtant, je n’ai rien vécu de comparable. Mais quelle enfance n’est pas marquée de blessures ?
Deuxième raison, l’évidente sincérité de son propos. Michel del Castillo ne cesse d’éplucher, directement ou non, toutes les tuniques de l’oignon qui compose sa vie. Même quand j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ses confidences, je les réecoute de nouveau, elles ne sont pas tout à fait les mêmes, l’âge venant. Mais l’empathie reste quasi-immédiate. On peut lire une livre pour des tas de raisons différentes. Quand je lis un livre de Michel del Castillo, j’ai l’impression qu’il cherche à me faire partager personnellement, ses questions, ses doutes, ses joies. Il est de ces écrivains qui semblent suffisamment proches pour je puisse croire qu’il me parle, à moi, pendant que je le lis.
Troisième raison, son regard sur le monde, sur l’humanité. Il a vécu deux des grandes tragédies du vingtième siécle, il a été plongé dans le naufrage physique et moral qui les a traversées. Des telles épreuves, d’une grande brutalité, n’en ont pas fait un justicier qui se croit détenteur de la vérité, une sorte de vengeur même pas masqué. Sa vision de la guerre civile espagnole n’épargne aucun des deux camps. Sa biographie de Franco a été l’objet d’attaques violentes car il a refusé d’en faire un portrait manichéen. Son enfance dramatique n’a pas éteint son ambivalence, elle l’aurait même épanouie peut-être. Même sa mère, il ne la condamne pas tout à fait. Il sait que son repos dans l’hiver de sa vie dépendra de la vérité qui reste à découvrir, et du pardon qu’il doit offrir.
Pour finir, et vous donner envie de lire ce livre, voici quelques citations qui m’ont touché, interpellé ou amusé.
« Parce qu’elle éclairait sans expliquer, la musique laissait dans l’ombre l’impénétrable épaisseur du monde. (page 20) »
« Ne retrouvait-on pas partout, à toutes les époques, cette césure entre l’amour établi et l’étrangeté du désir qui poursuit dans l’ombre une satisfaction chimérique. » (Page 75)
« Pas plus que l’idéalisme ne renferme toute la vérité, le réalisme ne suffit à la contenir. De l’un à l’autre la vie s’écoule, l’illusion produisant des actes, et les actions des chimères. »(page 205)
« Il se demandait s’il n’y avait pas, derrière chaque artiste, un enfant perdu. »(page 373)
« – Vous pensez que les Français savent tout ? – Ce qu’ils ignorent, ils vous m’expliquent quand même. » (Page 189).
6ème raison, votre billet (à part la dernière citation de la 5ème raison, un peu convenue, et une certaine méfiance pour les généralités sur les anglais, les français, etc.)
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Oui, cette dernière citation a quelque chose de convenu. L’humour étant denrée rare chez Michel del Castillo, j’y ai vu justement une reprise ironique des clichés sur la différence entre Américains et Français.
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