C’était par « devoir » que j’ai acheté No et moi (JC Lattès) car ma participation à un jury va m’amener à rencontrer à la fin du mois de mai son auteure dont je connaissais à peine le nom. Comme souvent, la 4ème de couverture ne me disait rien de bon (quelle manie de pointer un suspense plus ou moins inventé pour donner envie de lire un bouquin !). Et, pur préjugé de ma part, le ravissant visage de Delphine de Vigan et son nom très « Figmag » me rendaient encore plus prudent…
Bien à tort ! No et moi est un livre qui m’a emporté. Je l’ai lu en moins de 24 heures, non en raison d’un quelconque suspense ou retournement de situation, mais parce que je me suis tout de suite attaché au destin des principaux personnages, Lou, la narratrice surdouée de 13 ans, No, la SDF de 18 ans rencontrée dans une gare, Lucas, 17 ans, le copain de classe de Lou à la dérive. Et qu’au travers de ces trois destins, deux ou trois choses importantes sont abordées.
Ces destins dessinent des mondes qui se rencontrent rarement, celui de la normalité sociale, et celui de la précarité. Mais ne cherchez pas dans No et moi un reportage de plus sur le sort des SDF qui vivent sur le trottoir parisien, même si l’auteure a visiblement fait un vrai travail d’enquête sur leur vie. Ici, il est question de la rencontre difficile de ces deux mondes qui ne communiquent pas entre eux. Une utopie car Lou, précisément, ne se contente pas du regard extérieur de l’enquête, alors que c’était sa première motivation. Elle veut que No partage sa vie de préado, elle est marginale elle-même, du fait de son QI hors norme et d’un drame familial qui a gommé la vitalité de sa mère et la présence de son père.
Comme dans le film Welcome, la volonté d’aider quelqu’un de défavorisé n’est pas seulement le fait d’un « bon sentiment » humanitaire ; elle est aussi, et surtout, le moyen de chercher une réponse à un manque profond.
L’histoire se développe entre espoir et désillusion, avec la question qui taraude : les choses doivent-elles être ce qu’elles sont, affirmation péremptoire d’un fatalisme qui se déguise parfois en réalisme, parfois aussi en simple comformisme. Lou, No et Lucas, chacun à leur façon, veulent en découdre avec cette affirmation. Leur cheminement n’est pas parsemé de rebondissements artificiels, mais de nuages qui parfois se disloquent, laissant apparaître une clarté où les mondes qui semblent si lointains peuvent se rejoindre. Ces nuages recouvrent leur ciel parfois et assombrissent leurs rêves. Et la pesanteur l’emporte.
La qualité de ce roman tient au choix de Delphine de Vigan de le dérouler avec le regard forcément étrange de Lou, adolescente surdouée, dont l’esprit brasse mille pensées et dépasse les bornes de la norme. Cela aurait pu ête un artifice si l’écriture avait été maladroite, soit trop enfantine, soit trop abstraite. Je l’ai trouvé totalement crédible, avec ses observations parfois naïves, ses rêveries sans limites apparentes, ses accents de brutalité, son besoin de tendresse qu’elle tente de contenir, ses audaces dont elle-même s’étonne. Un ton juste !
Au delà de l’histoire de ses trois ados, il y a une véritable interrogation, non seulement sur le drame social de la précarité, mais sur quelques questions de notre condition humaine : la part de l’utopie et du réalisme, celle de la violence du silence et du geste qui ne se fait pas, du bonheur qui n’est qu’un instant, de l’insomnie, « face sombre de notre imagination », de ces « regards égarés qui ne reflètent rien d’autre que la complexité du monde, un monde saturé de sons et d’images, et pourtant si démuni. »
No et moi est un livre grave, qui ne sollicite pas l’émotivité trop facile du lecteur. Il a l’élégance de se terminer dans la légèreté d’un clin d’oeil en forme de baiser.
Ce livre a été adapté pour le cinéma et est en cours de tournage par Zabou Breitman, qui joue également dans le film, avec notamment Bernard Campan.
Quelques scènes ont été mises en boîte à Paris, au lycée Sophie Germain, pendant les vacances de février.
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