1940 l’année noire – Jean-Pierre Azéma (Fayard)

1940 l'année noire - JP Azéma (Fayard)Sur les ondes, j’avais entendu Max Gallo, qui faisait la promotion de son presque centième livre, parler de 1940 en la qualifiant d’année noire. J’avais trouvé le terme très parlant, dans toute sa simplicité, bien meilleur que le titre plutot ronflant de son livre, 1940. De l’abîme à l’espérance (Editions Xo). Je ne savais pas que c’était tout simplement le titre que l’historien, Jean-Pierre Azéma, avait choisi pour son livre qui traite a priori du même sujet, 1940 l’année noire édité chez Fayard.

Il se trouve que Jean-Pierre Azéma avait été mon « prof d’histoire-géo » en seconde et première, au lycée Lakanal, à Sceaux, dans la banlieue parisienne. J’avais toujours aimé l’histoire, plus que la géographie. C’est avec Azéma que j’ai compris combien l’histoire n’était pas qu’une énumération de faits et un défilé de personnages, mais aussi une façon de (se) poser des questions sur un passé qui, aussi lointain soit-il, avait toujours un écho sur notre présent. Très précisément, je me rappelle ses cours sur La Commune de Paris, qui n’était pas qu’un épisode sanglant mettant fin à un Second Empire à bout de souffle, mais aussi, une référence qui allait marquer toutes les révolutions du 20ème siécle.

Quand j’ai reçu son livre sur 1940, dans le cadre du Prix de Lecteurs de L’Express.fr, c’est donc avec une grande curiosité que j’ai entamé sa lecture. Mais dès le préambule, la curiosité s’est muée en un intérêt grandissant : j’avais le sentiment d’avoir, encore une fois, la chance de recevoir une vraie leçon d’histoire. Car dans ce préambule, où l’auteur explique pourquoi il revient sur ce sujet déjà maintes fois traité, trois idées phares m’ont particulièrement intéressé :
– le travail de l’historien est, entre autres, de s’interroger sur « la hiérarchisation des choix individuels, notamment politiques » (page 9). 
– l’historien doit garder la distance nécessaire par rapport au travail de mémoire, qui a tellement fait florès ces dernières années : cette lecture affective du passé, aussi utile soit-elle, ne doit pas empêcher le regard critique de l’historien.
– l’historien doit savoir « représenter le passé comme si nous ne connaissions pas les événements et donc, résister à la tentation de s’en tenir aux seules analyses de la tribu des historiens » (page 12).

Ensuite, en 34 chapitres, les principaux événements depuis mi 1939 jusqu’à la fin 1940 sont décrits et analysés. Certains sont connus, l’invasion de la Pologne par l’armée allemande, la « drôle de guerre », la débâcle de l’armée française, l’appel du 18 juin,Des Hurricans britanniques pendant la Bataille d'Angleterre la Bataille d’Angleterre… Pas la peine de chercher des détails inconnus sur ces événements si souvent racontés et commentés. Ce qui est intéressant est leur mise en perspective : par exemple, les tergiversations incroyables qui ont précédé la signature du pacte germano-soviétique juste avant la déclaration de la guerre, les intrigues et hésitations qui ont accompagné la prise du pouvoir par Pétain, la signature de l’armistice et la fin de la 3ème République…
C’est là qu’on peut mesurer combien l’histoire dépend parfois de circonstances fragiles et fugaces, mais pourtant déterminantes. 

Il y a aussi des récits, comme celui, troublant, de la visite matinale de Paris par Hitler juste après la signature de l’armistice. Jean Moulin (photo datant de 1939)Ou celui, très cocasse, de ce malade mental qui s’est enfui de l’asile avec 200 autres pendant l’exode, et qui s’installe dans une pharmacie et prend la place du pharmacien, déjà en fuite devant l’ennemi : il vendait tous les médicaments au tarif unique de 10 sous ! Ou celui, édifiant, de l’attitude de Jean Moulin, tout nouveau Préfet de l’Eure et Loir à Chartres, au moment de l’arrivée des Allemands. Ou encore celui, très intrigant, du piège du piège du Le Massilia, paquebot où ont embarqué 27 parlementaires français le 21 juin 1940Massilia, paquebot où 27 parlementaires ont embarqué le 20 juin pour créer un gouvernement provisoire en Afrique du nord afin de continuer la guerre. Ou encore celui, surprenant, de cette manifestation d’étudiants et de lycéens le 11 novembre 1940 bravant les forces de police…

J’ai aussi beaucoup apprécié quelques tableaux brossés à grands traits mais très évocateurs :
Paris dont les Allemands voulaient faire une « ville de garnison » de luxe où les spectacles et les plaisirs étaient proposés aux Allemands et à leurs France morcelée en 1940serviteurs, alors que la majorité des Parisiens commençaient à avoir faim et froid,
Vichy où règnait l’atmosphère délétère d’un régime à la fois autoritaire et vélléitaire, où le gouvernement est logé dans les hôtels de cette ville de cure où tout se savait par indiscrétions, laissant fleurir médisances et manoeuvres,
La France morcelée, amputée au Nord, à l’Est, donnant à la Bretagne un statut particulier, déjà séparée par la ligne de démarcation à géométrie variable qui servait de noeud coulant au cou du régime de Vichy : au cas où il se cabrerait, ce noeud pouvait l’étrangler …

Outre ces récits et ces tableaux, les actions et prises de position des principaux acteurs sont analysées.
Bien évidemment, le nazisme est totalement condamné. On voit aussi le flair militaire qu’Hitler a gardé jusqu’au milieu de l’année, puissamment aidé par l’indiscipline (eh oui !) de certains généraux qui ont outrepassé les ordres pour s’enfoncer encore plus vite dans les lignes françaises déjà complètement désorganisées. Les rivalités autour du Führer apparaissent rapidement au moment où il connaît ses premiers échecs.

Tout aussi évidemment, les bases idéologiques de la « Révolution nationale » voulue et promue par Pétain sont décrites sans aucune complaisance. Mais aussi, sa valse-hésitation qui s’est prolongée toute l’année sur ce qu’il fallait faire par rapport à l’occupant, en n’oubliant pas l’état de l’opinion très majoritaire des Français. D’ailleurs, l’auteur distingue quatre « pétainismes » qui coexistaient en France en 1940 et qui expliquent la popularité du « Maréchal » à cette époque.

Félix Eboué, gouverneur du Tchad (ici accueillant le général de Gaulle à l'aéroport de Brazzaville en septembre 1940Le début de la saga du général De Gaulle est narée sans les atours mythiques que De Gaulle lui-même lui a donné. Mais restent son attitude inflexible après son départ à Londres, sa solitude une fois installé sur le sol anglais, avec comme seul soutien, celui de Churchill, qui « s’est entiché » de lui, pas pour longtemps d’ailleurs. Le mot de Churchill en dit long sur la fragilité de la position de De Gaulle et sa fragilité : » Vous êtes tout seul ? Eh bien, je vous reconnais seul ! « . La préoccupation du Général était alors de mettre sur pied une armée venant de l’Empire français colonial et donc d’obtenir le ralliement de chaque colonie. La Résistance n’existait pas encore en tant qu’organisation et ne se manifestait que par l’action de certains groupes sans aucune coordination.

ChurchillLa seule vraie victoire était celle des Anglais et de Churchill, avec la décisive Bataille d’Angleterre qui a empêché les Allemands de débarquer en Grande Bretagne. Reste que Churchill, dont l’arrivée au pouvoir n’a tenue qu’à un fil, savait qu’il ne pouvait gagner que s’il pouvait compter sur les Américains, à l’époque encore très isolationnistes, et les Soviétiques, qui étaient encore les alliés des Allemands.

A la fin de cette année, l’Histoire était donc encore loin d’être écrite. Mais tous les acteurs étaient déjà en scène ou dans les coulisses…

Max-Gallo-et-Jean-Pierre-Azema (article photo Paris Match)Certains trouveront ce livre pas assez engagé, pas assez incarné. Certes, dans ce cas, on peut préférer le livre de Max Gallo 1940. De l’abîme à l’espérance (Editions Xo) qui est davantage une chronique d’un romancier qui s’appuie sur l’histoire, mais qui n’est pas un livre d’historien dans toute sa rigueur. Jean-Pierre Azéma propose un vrai livre d’histoire, dont la lecture n’amène pas seulement à célébrer quelques héros, à mépriser des lâches et à détester ceux que l’histoire a condamné. Ce n’est pas un livre engagé, en ce sens qu’il ne cherche pas à justifier dans la lecture du passé une posture politique ou idéologique. Mais il stimule la réflexion en livrant de nombreuses informations et en donnant des analyses sans schématisation. En le lisant, je ne me suis pas senti prisonnier de la vision de son auteur, je lui sais gré de me faire réfléchir.

Cette leçon d’histoire est parfaitement réussie.

3 commentaires sur “1940 l’année noire – Jean-Pierre Azéma (Fayard)

  1. Et dire que l’enseignement de l’histoire à l’école est menacé… Cela fait froid dans le dos.
    J’ai beaucoup aimé cette image des destins, décisions, choix (…) qui oscillent, hésitent et basculent pour un rien, une petite chiquenaude de l’histoire.
    Il paraît que les héros ne le sont que par les circonstances exceptionnelles qu’ils rencontrent. Ce qui n’est pas dit, c’est le nombre de personnes mises dans les mêmes circonstances et qui n’ont jamais atteint ce statut (cette statue) héroïque…

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  2. quelle année… et puis le pacte germano-soviétique etc. J’ai vu qu’un livre d’histoire paraissait ces temps sur le couple formé par Maurice et Janine… l’histoire écrit finalement les meilleurs scenarii.

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