Combats – NEHEMY PIERRE DAHOMAY – Éditions du Seuil – 2021

Encore un livre haïtien ? Oui mais il est différent de ceux déjà chroniqués dans ce blog. Il s’agit d’un roman dont le sujet est l’Histoire de Haïti, celle du XIXème siècle, période souvent négligée si ce n’est, bien sûr, la proclamation de l’indépendance d’Haïti, en 1804, première déclaration d’indépendance de la période coloniale.

L’intrigue de Combats se déroule trente-huit ans après, en 1842. Le roi de France, Charles X, avait concédé l’indépendance de Haïti, une vingtaine d’années avant, moyennant le paiement d’une indemnité par la jeune république pour compenser la dépossession des anciens colons français de leurs biens-meubles (autrement dit, les esclaves). Indemnité que l’ancien colonisateur ne cessera pas de ponctionner sur une économie basée sur la culture du café exporté en Europe. Quant au contexte politique, il est totalement instable, marqué par des conflits entre élites métis et noires et par l’indépendance de la République dominicaine, partie orientale de l’île, colonisée par l’Espagne.

C’est donc dans ce contexte que Ludovic Possible, mulâtre donc propriétaire terrien, plus ou moins éducateur et notaire, et son demi-frère Balthazar Possible, s’opposent car ce dernier soupçonne Ludovic d’accaparer toutes les richesses possibles. Le conflit entre ces deux-là passe par des combats entre discours contradictoires et duels farouches par coqs et personnes interposés. Le coq de Balthazar – on l’appelle la Bête Immonde – aura sa tête coupée..;

Se mélangent alors tout l’imaginaire haïtien et la réalité prosaïque quand « la raison personnelle l’emporte sur la raison politique : tandis que, à la faveur du repli sur soi de ses longs jours de pluies, le démon se libérant du repli sur soi de ces longs jours de pluie » Et pendant les jours de pluie, « la population de Boën double au sein de chaque foyer, sous la pression d’une rivière débordée, en fonction de la règle élémentaire, universelle et inaliénable de l’hospitalité. »

Autre personnage-clé de Combats, Aïda, la fille de Ludovic Possible. Elle est une enfant de nature silencieuse, qui a des talents de conteuse. Elle parcourt tout le voisinage avec sa bourrique nommée Satan pour vendre du tabac, au sein d’une réalité mouvante et accidentée. Alors que sa mère, Béatrice, « est une femme couverte de certitudes qui est sa matière première », Aïda est une des clés de ce récit foisonnant où « il y a une espèce de personnes entre les sirènes et les humains (…) une cantatrice admirée par les élites et les masses ; une chanterelle. Elle chante et s’élève au-dessus du monde. »

Néhémy Pierre-Dahomay, grâce à son écriture aussi forte que précise, développe son roman avec bien d’autres histoires mélangeant notations très concrètes de la vie quotidienne et envolées au cœur de l’imaginaire haïtien très fécond. Il inscrit la richesse romanesque de « Combats » dans l’Histoire d’une société qui ne peut pas éviter des affrontements plus ou moins violents, liés à la couleur de la peau et dans un contexte totalement bloqué par le pouvoir colonial qui détient la réalité du pouvoir sur Haïti.

Véritable leçon d’histoire de cette période que n’est pas la plus connue de l’histoire de Haïti, « Combats » a la richesse d’un roman aux multiples personnages ancrés dans les défis quotidiens de survie et de pouvoir. De plus, Néhémy Pierre-Dahomay convoque une partie importante de l’imaginaire haïtien, qui marque de sa forte empreinte la réalité quotidienne, et donne à la littérature haïtienne, une force, une vitalité, une richesse toujours renouvelées. 

Combats  – NEHEMY PIERRE-DAHOMAY – Éditions du Seuil – mars 2021 – 208 pages – 18€



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