Black Manoo – Gauz – Le Nouvel Attila – juillet 2020

L’immigration, phénomène majeur de notre époque – qui existe depuis que l’être humain a des jambes et un cerveau – déborde à présent largement le cadre des enquêtes et réflexions en tout genre et investit de plus en plus le champ de la littérature. Avec Black Manoo, l’écrivain ivoirien Gauz, lui-même immigré, donne sa vision à la fois romanesque et témoignage en plongeant le lecteur dans les incertitudes, les doutes, les rencontres et les victoires de son personnage, Black Manoo, immigré d’origine ivoirienne.

Black Manoo vient d’Abidjan, capitale économique de la Côte D’ivoire. Il atterrit à Roissy, prend un taxi et tend au chauffeur un papier. La destination indiquée est Belleville. Premières sensations, « Les files de voiture sont quatre serpents de métal côte à côte ». Paris est une ville grouillante dont la notice d’utilisation lui est totalement étrangère. « On ne rentre pas dans une ville comme on rentre dans un grenier à mil. »

Nous sommes dans les années 90. Black Manoo vient à Paris pour fuir la Côte d’Ivoire où il n’a pas que des amis, ni perspectives d’avenir engageantes. Gauz développe le vif et l’ombre de la vie de Black Manoo qui, comme la très grande majorité des migrants, arrive à Paris pour y vivre ou y survivre. La vie quotidienne est une foule d’arrangements entre eux-mêmes et des règles nouvelles, avec l’impérative nécessité d’éviter tout faux-pas pour ne pas être renvoyé illico, chacun dans son pays d’origine.

La grande réussite de ce livre est de ne pas enfermer le propos dans des stéréotypes mais d’embrasser de multiples destins croisés que Gauz détaille avec une écriture très vive, parfois dramatique, souvent électrique, d’autres fois sarcastique. Ses phrases courtes racontent avec intensité et précision, les aléas, les réussites et les pièges qui parsèment la vie de Black Manoo, comme celles de la plupart des autres d’Africains et autres migrants. Toutes et tous ne peuvent vivre qu’à la marge d’une société dans des quartiers délabrés et inventent un mode de vie spécifique, complexe mélange de leur mode de vie natal et de leurs facultés d’adaptations au contexte français. Chacune et chacun cherchent, avec une énergie inlassable entre expulsions et menaces, le moyen « d’obtenir les papiers», en affrontant contradictions et absurdités des règles édictées pour pouvoir rester en France et commencer à s’y intégrer.

Gauz développe toute une galerie de personnages dont les destins se croisent dans le quartier, Belleville, où vivent Black Manoo et son amie Karole, qui a le statut de mère isolée d’enfants nés français qui lui donne le droit à « un plancher et un toit dans un de ces camps de concentration qui donnent du travail aux assistantes sociales« . Tous ces personnages forment un ensemble bigarré où figurent, outre le chauffeur de taxi haïtien de l’aéroport de Roissy, des prostituées chinoises sur le Boulevard de Belleville, Gun Morgan venu de Cocody et devenu producteur de musique, Lass Kaden, dealer qui aide des junkies à se désintoxiquer. Et tant d’autres dont les vies sont en suspens dans des lieux dont les noms, Le Danger ou Sans Issue en disent long.  Elles et ils se retrouvent pour y chercher des liens de solidarité. Ainsi, Black Manoo se lie avec un Auvergnat qui l’invite chez ses cousins vivant en Auvergne, rencontre inattendue et généreuse, évacuant tout préjugé, de deux sociétés ignorantes l’une de l’autre, décrite avec humour et respect ; et avec d’autres encore, notamment parmi les membres des associations qui viennent en aide aux migrants.

La fin du livre est tout à fait inattendue, éloignée de toute grandiloquence, éloge non dénuée d’humour du Parti communiste dont l’étoile rouge orne l’étiquette de la canette de bière offerte à Black Manoo. Cela se passe à l’hôpital, dans la chambre où il est mourant et ne cesse de se rappeler sa recherche d’un temps disloqué et d’un lieu à inventer, recherche « éclairée à chaque étape par une étoile. Peu importe sa couleur. C’était chacun de vous. »

Black Manno est un livre choc qui ouvre les yeux, secoue le cœur autant que le cerveau. L’écriture très électrique, rigoureuse, subtile, bavarde parfois, cinglante d’autres fois, se glisse parfaitement dans une réalité complexe qui renvoie dans les ténèbres les archétypes simplistes et nauséabonds sur la migration. C’est un livre de salubrité publique. Et un passionnant roman.

Black Manoo – Gauz – Le Nouvel Attila – juillet 2020 – 170 p.- 18 €

Photo copyright Gauz D.R.

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