
Être noire ou noir ne recouvre pas la même réalité suivant les continents, les pays. C’est ce que l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie démontre avec une force et un brio incomparables dans Americanah.
Ifemelu, jeune femme de la bourgeoisie nigériane, va aux Etats-Unis, à Philadelphie, pour suivre ses études. Elle a laissé son grand amour, Obinze, au Nigeria, qui espère la rejoindre au plus vite. L’une de ses premières surprises est le soin et le temps que les femmes noires-américaines passent chez le coiffeur pour se défaire de leur coiffure naturelle pour éclaircir et/ou aplatir leurs cheveux. Noire africaine parmi les noires américaines, Ifemelu découvre ainsi, et de bien autres manières, que la couleur de la peau et tout ce qui touche à leur africanité plus ou moins visible, a une importance clivante dans la vie américaine qui se manifeste à tout moment dans la vie publique, sociale, intime, amoureuse. Et qu’il est leur nécessaire, pour s’intégrer à la vie sociale nord-américaines, de s’y conformer tout en essuyant des marques de racisme, accentué par du sexisme. Ce qui se traduit par davantage de complexité, et d’inégalité.
En essuyant quelques cuisants échecs, Ifemelu apprend les codes américains de la façon de vivre tout en gardant ses distances. Et crée un blog, qui obtient un grand succès, dont l’objet est de faire connaître des « Observations diverses sur les Noirs américains (ceux que l’on appelait jadis les nègres) par une Noire non-américaine ». Elle y approfondit sa réflexion et fait connaître avec maints exemples plus ou moins tragiques l’essentialisation de leur peau, de leur corps, de leurs cheveux qui les marquent à chaque étape dans la vie sociale nord-américaine. Évidemment, lire Americanah a un écho très actuel avec le mouvement Black Lives Matter qui se développe aux Etat-Unis et aussi dans bien d’autres pays. Cela rend ce livre très contemporain.
D’autres expériences sont évoquées, comme celle d’Obinze qui émigre au Royaume-Uni, où le froid le surprend par « son agression insidieuse ». Les formalités pour avoir un titre de séjour officiel sont kafkaïennes. Faute d’argent, il se retrouve dans un avion direction Lagos, après avoir changé d’identité et s’être marié pour y rester. La violence institutionnelle, à laquelle Obinze est soumis, est un exemple de la façon dont les pays européens, anciens colonisateurs, traitent les immigrés qui viennent de leurs ex-colonies.
Il serait vain de résumer les 670 pages de ce roman foisonnant et addictif, très difficile à lâcher, très facile à lire car l’écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est extrêmement incarnée et offre au lecteur des personnages et des situations qui donnent à ses réflexions, le goût et l’odeur de ces vies déchirées et plus ou moins raccommodées. Le lecteur ne peut s’en détacher, se prend d’affection pour Ifemelu et Obinze, les deux principaux personnages, mais aussi pour bien d’autres qui traversent la scène plus ou moins rapidement. L’un des charmes profonds de ce livre, ce sont les dialogues, par exemple lors de la première rencontre en Ifemelu et Obinze, dialogue allant de l’audace à la prudence, de la diversion à l’important, où le non-dit se bat avec le dit, tout début de leur relation amoureuse racontée ensuite avec flamboyance, réalisme et humour parfois, en évitant toute naïveté. Car, oui, Americanah est un formidable livre d’amour(s).
© Americanah – Chimamanda Ngozi Adichie – Folio (septembre 2019) – 686 pages – 17,00 €
