
Le Maroc, Kenitra, port sur l’océan, dans les années soixante-dix : Hamid ramasse des journaux invendus pour les refourguer dans des bateaux à quai de la base américaine toute proche. Et aussi du vin, de la bière et du whisky, dans ce pays où l’alcool est interdit, mais très consommé sous le manteau. Un brin naïf, mais très observateur, Hamid tente de prendre la toute petite part qu’il ne peut arracher qu’au prix d’efforts et de luttes continuelles, sous le joug d’une police corrompue jusqu’à la moelle qui rançonne les vendeurs de journaux, entre autres.
Première expérience douloureuse : sur le port où il tente de vendre ces journaux, l’un des « gardiens » du port le force à se déshabiller pour trouver un seul dollar et un paquet de cigarette. Il s’effondre, éclate en sanglot et rentre au domicile familial, qui n’a rien d’une panacée.
A la périphérie de la ville, une étendue immense de baraques en tôle, proche d’une forêt où on peut ramasser des glands. Et où de nombreux gardes forestiers ont été assassinés. Il continue la vente de journaux, seule possibilité de gagner quelques piécettes. S’il perd un seul journal, il doit le payer. « Il ne connait même pas le nom des journaux qu’il transportait : il courait, courait comme un fou. »
Sa famille est plongée dans une misère économique totale, entre chômage et disputes conjugales entre le père « gros dormeur », les lamentations de la mère et les deux frères allongés sur une vieille natte. Les repas se résument au thé accompagné de thé ou d’olives. Et, en sortant de la baraque familiale, le risque d’être tué pour un oui, pour un non, pour rien du tout.
Il fait le tour des boîtes de nuit fréquentées par les Américains et les prostituées poursuivies par la police. Il essaie de vendre quelques exemplaires du journal. Avec toujours « (…) pour Hamid, aucune confusion : sauve ta peau si tu voies une voiture de flics ». Un Américain le force à manger du porc, qu’il recrache quand il quitte le bar. Il ramène quelques piécettes au domicile familial en s’interdisant de s’acheter pour lui seul pain, beurre et limonade. Sa mère rétorque « Qu’allons-nous faire de ces quelques centimes ? ».
Mohamed Zafzaf décrit de façon détaillée et incarnée la réalité marocaine de ces années de plomb, ces portraits précis de chaque personnage, des clients des cafés, des policiers, des prostituées, des membres de la famille de Hamid, sous le joug de traditions encore plus lourdes pour les femmes que pour les hommes, enfermé(e)s par la pauvreté et la religion dans un destin totalement bouché.
Tentative de vie n’est pas un reportage. C’est une œuvre littéraire à part entière dont le titre dit, à lui seul, la réalité décrite avec une écriture taillée au rasoir, dépouillée, extrêmement descriptive. Cette réalité est incarnée par ces différents personnages familiaux, policiers, américains décrivant une société en pleine dislocation sans avenir visible. Il s’agit de la société marocaine des années soixante-dix. Quand paraitra une description aussi fine et sans tabou de la société marocaine contemporaine ? Et de la nôtre ?
Tentative de vie – Mohamed Zafzaf, traduit de l’arabe par Siham Bouhlal – Virgule, 108 pages, 13 €
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