
Il s’agit d’une page assez peu connue de l’histoire de l’esclavage des Noirs par les Blancs, qui se passe au XIXème siècle. Ce n’est pas de l’esclavage au sens légal du terme, mais un avatar de l’esclavage qui prend les oripeaux d’un engagement signé par un(e) pauvre bougre(sse) que l’on appelle alors un(e) engagé(e). Le travail est de couper la canne à sucre sur l’île Maurice distante de plusieurs milliers de kilomètres. Les rochers de Poudre d’Or retrace le parcours douloureux des engagé(e)s indiens, venus travailler sous contrat dans les plantations de canne à sucre de l’île Maurice en remplacement des esclaves dont le statut avait été officiellement aboli, un siècle auparavant.
L’auteure, Natacha Appanah-Mouriquand est mauricienne. Elle décrit d’abord la misère qui sévit en Inde du Nord à cette époque sous la colonisation britannique, qui pousse les plus pauvres à signer un contrat très précis rédigé par Les Autorités de Maurice. Il donne l’illusion de pouvoir travailler dans des conditions de travail et d’hébergement correctes et, surtout, d’être rémunérés, afin de constituer suffisamment d’économies pour rentrer en Inde. Car le but est bien d’y revenir pour y vivre dans un peu moins de misère.
Première étape, la traversée en bateau pour rejoindre l’île Maurice : deux mois de traversées à travers les tempêtes, les maladies contagieuses, les cadavres jetés à la mer, les rats infestant le navire. Arrivés à Maurice, ils sont triés et répartis dans différentes plantations appartenant à des Anglais et des Français. Et rapidement, la désillusion la plus complète : les conditions de travail sont quasi identiques à celles de l’esclavage. Quant à la paie, elle est totalement aléatoire et, quand elle est versée, suffit à peine pour les besoins quotidiens mais ne suffit pas pour retourner en Inde au bout des années de « contrat ». Résultat, la plupart reste sur l’île dans des conditions totalement misérables.
Certains personnages apparaissent, comme Roopaye qui sait si bien chanter ; Sindh et Chotty qui se retrouvent à travailler dans des conditions très proches de l’esclavage pour tenter de rembourser une dette trop lourde ; Vythee qui recherchent son frère parti quatre ans auparavant ; le pêcheur Searam, veuf arrivé avec ses six fils et deux sœurs, qui ne savaient pas comment couper la canne à sucre ; Badri, le joueur de cartes qui perd tout le peu d’argent qu’il avait apporté ; la belle Ganga au crâne rasé, fille de roi, qui avait fui Bangalore où sa vie était en danger… Certains gardent le rêve d’une richesse soudaine qui ne viendra jamais, en croyant pouvoir trouver des pièces d’or sous les rochers. Mais encore et toujours, la coupe de la canne à sucre, d’un coup sec, sous le nœud.

Avec ses personnages, victimes et bourreaux, Natacha Appanah-Mouriquand donne une description cinglante et très précise de cette organisation officielle d’un trafic qui a permis de continuer l’esclavage sous une autre forme. Avec ce livre, aussi dur soit-il, elle décrit une expression de notre humanité profonde dans tous ses extrêmes. Et un nième exemple du colonialisme des puissances européennes.
Y a-t-il des statues à détruire ? Ou à taguer ?
Les rochers de poudre d’or -Natacha Appanah-Mouriquand – Continents noirs – Gallimard – 162 pages – 13,50€