L’autre moitié du soleil – Chimamanda Ngozi Adichie – (Gallimard -version française- 2008)

L’autre moitié du soleil se passe au Biafra, région du Nigeria riche en pétrole où habite majoritairement une population ibo plus instruite et fortement christianisée alors que le Nord est plutôt occupé par des Haoussas musulmans. Le Biafra a déclaré son indépendance en 1967. S’en est suivi un conflit particulièrement atroce qui a fini par permettre au Nigeria de reconquérir le Biafra avec l’appui de l’ancien colonisateur, la Grande-Bretagne. Si vous souhaitez découvrir ou vous rafraichir la mémoire sur cette tragédie, je vous invite à lire l’article Wikipedia qui lui est consacré.

Odenigbo et Olana forment un couple d’intellectuels appartenant à l’élite biafraise. Odenogbo est enseignant à l’université, intellectuel engagé et idéaliste. Il vit dans une maison confortable avec la belle Olanna. Ils viennent d’avoir un enfant. Pour s’occuper de la maison, ils embauchent comme boy, Ugwu, 13 ans, qui sera en charge de s’occuper de la maison et aussi du bébé. Rapidement, il se montre particulièrement adapté à son emploi, apprenant rapidement ce qu’il faut faire. Par devers lui, il observe ses maîtres avec déférence et curiosité. Il devient indispensable dans cette maison.

La sœur jumelle d’Olanna, Kainene, est une jeune femme d’affaire ambitieuse qui gère avec rigueur la compagnie pétrolière de son père. Richard, son compagnon britannique, écrivain-journaliste en mal d’inspiration et sans réussite probante, veut à tout prix connaître le Nigeria de l’intérieur en apprenant l’ibo. Tout en prenant plaisir à vivre à l’Occidentale, ils critiquent le modèle britannique, sans jamais questionner leur mode de vie.

La première partie du livre développe l’ambiguïté de ces intellectuels engagés pour l’indépendance du Biafra, qui vivent dans les beaux quartiers. Vie confortable, histoires amoureuses hasardeuses, infidélité des hommes, légèreté des femmes, la première partie du livre offre une vision à la fois critique et indulgente de la façon de vivre de cette bourgeoisie intellectuelle. Au-delà de cet aspect parfois futile mais raconté avec élégance et un certain détachement, la question de l’identité ibo, définie avant même l’arrivée de l’homme blanc, est soulignée.

La haine creuse rapidement un fossé grandissant entre Ibos et Nigérians, leur pays étant « une collection de fragments tenus d’une main fragile. ». La Sécession du Biafra est proclamée. La violence explose quotidiennement, elle les cerne, elle les frappe, eux qui vivaient protégés dans les beaux quartiers. Ils plongent dans la tourmente, comme l’ensemble du Biafra que le Nigeria cherche à détruire totalement. C’est alors que les vies de Olana, Odnigbo, Ugwu, Kainene et Richard versent dans la tragédie, même s’ils restent privilégiés par rapport à l’ensemble de la population biafraise, ce que Chimamanda Ngozi Adichie montre sans indulgence tout en gardant l’empathie avec ses héroïnes, notamment Olana. Ugwu, lui, est enlevé, il a toujours son livre avec lui. Après un rapide et brutal apprentissage, il participe à la guerre, il est au front. Il échappe au kwashiorkor, maladie qui décime les enfants les uns après les autres, à cause du blocus alimentaire dont est victime le Biafra. « (..) la cruauté désinvolte de ce nouveau monde dans lequel il n’avait pas son mot à dire coagulait une boule de peur à l’intérieur de lui.» Encouragé par les autres soldats, il viole une fille « (…) qui lui rendit son regard avec une haine calme. » Il est blessé par un tir de mortier. Richard, le compagnon britannique de Kainene a trouvé le titre du livre qu’il publiera après la fin de la guerre : « Le monde s’est tu pendant que nous mourrions. » Le monde regardait, horrifié, les photos de Biafrais(e)s devenu(e)s cadavres encore vivants. C’est sur ces mots que Chimamanda Ngozi Aichie conclut le livre. Mais Ugwu a pu revenir…

La réussite de ce roman dont le sujet est une page tragique du XXème siècle, vient de la façon dont l’auteure a su créer des personnages romanesques – peut-être inspirés de personnes réelles – qui transfigurent la réalité. Le personnage d’Ugwu est  une des plus belles créations littéraires que je connaisse : grâce à son regard qu’il porte sur celles et ceux qui l’entourent (ou qu’il entoure), il agit comme un révélateur, un coryphée, un témoin, un être de chair, de sang et d’esprit et donne à ce livre une humaine densité rarement atteinte quand il s’agit d’une guerre.  

© L’autre moitié du soleil – Chimamanda Ngozi Adichie – Folio (février 2017) – 670 pages – 17,00 €


Chimamanda Ngozi Adichie à Lagos, le 21 décembre 2019. © Andrew Esiebo pour JAfrique

Dans l’excellente revue en ligne « Africultures » , une excellente critique de « L’autre moitié du ciel » est parue : pour la lire , cliquez ICI

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