
2017. Un attentat dans un lycée à La Haye. Adam qui vient d’avoir son baccalauréat, se réfugie dans un bar. Il est tchétchène mais préfère, pour s’intégrer à la vie hollandaise, être appelé Adam plutôt que Oumar. La veille encore, il buvait de l’alcool et embrassait un garçon dans l’obscurité d’un club. Le matin de l’attentat, la police affirme qu’il a été commis par un lycéen tchétchène et trouve Oumar/Adam. Il est rapidement relâché mais s’inquiète pour son frère Kirem qui est toujours élève dans ce lycée. La radio annonce des morts et des blessés. Alissa, tchétchène elle-même, professeur de russe au lycée, s’inquiète pour Adam qui fut son élève et Kirem, qui est son élève. Elle retrouve rapidement Adam. Mais pas Kirem.
A partir de ce départ fracassant, Anaïs Llobet développe, à travers les rebondissements de l’enquête sur cet attentat et l’histoire des deux frères depuis leur enfance en Tchétchénie, une réflexion sur la fragilité des identités des exilés qui doivent se reconstruire et tenter de modifier leur façon d’être, de faire, de ressentir. Pour l’un comme pour l’autre, ce fut une nécessaire tragédie de quitter leur pays englué dans une guerre atroce et de reconstruire leur vie en Europe. L’un y parvient. L’autre pas. Un cousin plus âgé, Makhmoud, veut imposer les règles de vie traditionnelle tchétchène dans toute leur rigueur au sein de la communauté tchétchène néerlandaise et plus particulièrement à ces deux jeunes cousins. Mais l’intégration dans un nouvel univers reste toujours incertaine. « On ne peut pas entrer dans une nouvelle maison tout en gardant les pieds dans l’autre. Les portes laissées ouvertes suscitent des courants d’air. Et personne n’aime les courants d’air. »
Tout le récit est traversé par la question : « Où est Kirem ? Est-il l’auteur de l’attentat ? ». Et par une autre question, celle de l’homosexualité de Adam/Oumar. « Un Tchétchène homosexuel doit vivre caché ou mourir » Mais davantage encore, à travers ce récit mené d’une main ferme et sensible à la fois, ce livre est une réflexion sur ce qui fait l’identité d’un être humain, son pays, sa religion, sa sexualité et sur les évènements tragiques qui mettent à nu la fragilité de toute vie. Adam/Oumar est au milieu de ce tourbillon mortuaire. « Il a l’impression de devenir fou, à force de dédier ses pensées à Kirem, puis à sa mère, puis à Makhmoud, puis de nouveau à Kirem. Il sait que c’est le meilleur moyen de ne pas réfléchir à lui-même, à ce qui l’attend. Tourner en rond pour ne pas regarder devant soi. »
L’enquête avance. Un procès aura lieu…
Parmi les principaux personnages du roman, Oumar/Adam est le plus complexe, le plus abouti, le plus fragile, le plus attachant, dirigeant sur lui, sans le vouloir, toutes les flèches décochées par ceux qui ont des certitudes inébranlables.
Ce livre à plusieurs tiroirs est écrit avec force et subtilité. L’identité y apparaît comme un fantôme hantant nuit et jour l’être humain pour le dissoudre dans une vérité sacralisée et intangible qui peut être mortifère.
Anaïs Llobet : « Des hommes couleur de ciel » – Éditions de l’Observatoire – janvier 2019 – 228 pages – 17 €

Merci Jean Marie pour ces petits rien essentiels, baisers. Mj.
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