Dérangé est docker à Anjouan, île qui fait partie des Comores dans l’Océan Indien. Chaque jour est un défi pour lui : trouver du travail quand un bateau arrive, pour pouvoir manger ne serait-ce qu’une fois par jour. Premières pages vertigineuses d’un solitaire « qui fait semblant d’être déjà mort pour mieux surprendre l’adversaire . Dérangé ne se fait aucune illusion sur son avenir, mais « refuse de pleurer ». Peut-être a-t-il un grain, une goutte de folie ? Il y a aussi Pirate, Pistolet et Pitié qui forment un « trio maléfique », le trio Pipipi de dockers, comme Dérangé. La concurrence est impitoyable pour racoler à la descente des bateaux les voyageurs et transporter leurs bagages jusqu’à l’endroit de leur séjour.
Ce jour-là, c’est Dérangé qui semble avoir gagné le « gros lot » en apportant les bagages d’une femme si éblouissante qu’elle « ravage tout sur son passage ». Elle joue à l’amoureuse avec lui, déclenchant illusion de sa part, colère du mari et jalousie des autres, notamment du trio Pipipi. Pris dans ce jeu délétère, Dérangé ne peut en sortir gagnant. Sa tête ensanglantée fera le jeu des mouches.
L’histoire tragique de Dérangé est racontée avec une écriture qui explose de vie, qui parle d’amour, qui racle le malheur, qui tourneboule le lecteur pris dans un écheveau sur-vitaminé, en le confrontant à des vérités comme celles-ci :
« Quand on ne sait pas sur quel œil montrer sa miséreuse condition, on n’étouffe pas ses larmes de sang comme une couille molle. On crie sa douleur jusqu’à corner ses oreilles, chers amis, pour se faire entendre. ».
« Il faut savoir que dans ce monde, quand on essaie de désherber son chemin et prendre ses distances loin de cloaques, on est toujours perçu comme un moins que rien et on crève dans l’indifférence des autres. ».
Ali Zamir a reçu le Prix Roman France Télévisions 2019 avec Dérangé que je suis, troisième grand pas d’une aventure littéraire. Il deviendra – il est déjà – un auteur populaire dans le meilleur sens du terme, grâce à son écriture bigarrée et subtile, son talent de narrateur mettant à l’œuvre virtuosité et finesse pour décrire le monde tragique qui se cache sous le soleil tropical dans cette partie de l’océan indien.
© Ali Zamir : « Dérangé que je suis » – Éditions Le Tripode – novembre 2018 – 192 pages – 17 €
Prix Roman France Télévisions 2019
