Syngué sabour – Pierre de patience – Atiq Rahimi – (P.O.L – 2008) – Prix Goncourt 2008

Syngué sabour signifie « Pierre de patience », une pierre sur laquelle on déverse ses malheurs…

Dans une chambre repose le corps recouvert d’une longue chemise bleue d’un homme allongé qui respire. A côté, une femme assise a posé sa main sur la poitrine de l’homme et tient un « long chapelet noir », dans son autre main, un Coran. Ce huis-clos laisse les bruits de guerre pénétrer depuis l’extérieur, « quelque part en Afghanistan ou ailleurs ».

Syngué sabour est le monologue de cette femme, assise près de son mari agonisant. Elle veille sur lui en égrainant son chapelet : « Mes journées, je ne le divise plus en heures, les heures en minutes, et les minutes en secondes… Une journée pour moi égale quatre-vingt-dix-neuf tours de chapelets. » La Pierre de patience, c’est le corps éteint de son mari. Ce sont d’abord des paroles de femme qui lui est soumise et toujours à sa proximité, femme fidèle et servante. C’est le début d’un monologue qui devient âpre et tortueux. Étape par étape, la femme prend la parole, revenant sur leur vie commune faite de peur, de dissimulation, d’incompréhension. Ce mariage forcé à cet homme pour lequel son corps de femme ne devait être qu’au service du corps de l’homme, à sa disposition quel que soit le moment.

En entendant des tirs de kalachnikov ou de chars, la femme se lasse et souhaite « qu’une balle perdue l’achève une fois pour toutes. » Elle évoque ses souvenirs, ses rêves qui tournent aux cauchemars, son mariage forcé avec cet homme qui lui était totalement étranger, sa sœur vendue à un vieillard, l’intransigeance d’une famille corsetée dont le socle patriarcal est encore renforcé par l’état de guerre. Les bruits de bottes se rapprochent encore. Elle condamne de la passion des hommes pour les armes. « Vous les hommes ! quand vous avez des armes, vous oubliez vos femmes. »

Le monologue est de plus en plus haletant, âpre, lourd. Il permet à sa parole de se libérer, de dire à haute voix des secrets qui, s’ils étaient connus, lui vaudrait une mort certaine. D’aveu en confession, de confession en libération, la Pierre de patience ruisselle de secrets jamais dévoilés et qui finissent par éclater dans la nuit.
C’est la délivrance, à un prix fort, très fort.

Ce livre m’a laissé totalement abasourdi et fasciné par l’audace de son sujet et de la façon de le traiter :  utiliser la mythologie perse et la sordide réalité des femmes afghanes pour célébrer la libération des femmes, en saisir tous les risques, en espérer la victoire, dans une écriture chargée d’histoire et de combats. Voilà un Prix Goncourt bien mérité !

© Atiq Rahimi : « Syngué sabour – Pierre de patience » – Editions P.O.L., Paris novembre 2008 – 160 pages – 15 €

Atiq Rahimi

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