Frère d’âme – David Diop – (Le Seuil – 2018) Prix Goncourt des lycéens 2018

Le début de Frère d’âme donne le ton de la première partie du livre qui se passe dans les tranchées en décrivant sa violence inouïe, qui prend parfois presque l’allure d’un jeu. Alfa y trouve une place particulière en ramenant la paire des mains de tous les ennemis qu’ils tuent, ce qui le rend populaire parmi ses camarades de combat, mais ensuite lui donne le visage d’un démon. Démon davantage que les autres ? Dans les tranchées, la vie a-t-elle encore une valeur, quand un capitaine offre à l’ennemi l’occasion de tuer la vie de plusieurs soldats qui avaient refusé d’obéir ? Alfa est envoyé à l’Arrière, c’est-à-dire l’infirmerie où il retrouve une humanité dans le sourire et le soin des infirmières. Cela lui rappelle Fary Thiam, « qui s’est laissé prendre par moi, dans une petite forêt d’ébéniers, non loin du fleuve, quelques heures avant mon départ à la guerre. »

Alfa Ndiaye et Mademba Diop sont tirailleurs sénégalais dans les tranchées de la guerre-14-18. Ils s’élancent comme tous les autres soldats quand leur capitaine siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Mademba est blessé et meurt après avoir supplié Alfa de l’exécuter sans attendre. Alfa a laissé Mademba « mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante, occupée à chercher dans la boue du champ de bataille pour les ramener à son ventre ouvert. » Il a compris trop tard ce qu’il aurait dû faire, quand il lui demandait, « comme on demande un service à son ami d’enfance, comme un dû, sans cérémonie, gentiment. » Il ramène le cadavre de Mademba dans les tranchées où il est accueilli comme un héros sans savoir « qu’il avait été inhumain par le sens du devoir. »

Alfa se rappelle la savane sénégalaise, son amitié de Mademba Diop, son amour avec Fary Thiam, les conflits que cet amour à provoquer, sa beauté surpassant celle des autres hommes. Alfa était déjà un être à part, sorte de demi-dieu dont les autres étaient jaloux, sauf Mademba Diop avec qui il partira dans les tranchées pour y mourir. Cette dernière partie laisse la place à l’Afrique et ses sortilèges, ses mystères, sa beauté, sa violence aussi, qui n’est en aucun cas une anticipation à la terrible boucherie de la guerre 14-18.

Ce livre est empreint de mystère, d’horreur, d’amitié, d’amour qui se mêlent et se démêlent dans la terrible cruauté d’une guerre européenne à laquelle de nombreux Africains furent mêlés comme chair à tuer et chair à mourir. En contrepoint, c’est une réflexion sur la violence, celles des nations, celles des humains, une violence qui va changer d’échelle avec la première boucherie moderne de 14-18.

Tout ceci dans une écriture qui ne cherche pas le spectaculaire mais la confidence, pas le jugement impérieux mais la profondeur du désarroi. Pas de leçon de morale individuelle mais le partage effondré d’une humanité en perdition…

© David Diop : « Frère d’âme » – Editions du Seuil, Paris août 2018 – 176 pages – 17 €

David Diop (Photo Joël Saget AFP)

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