
Un homme, Félix, va mourir dans un hôpital. Sa femme Cécile, et sa fille, l’auteure elle-même, l’accompagnent pendant de longues heures tout en douceur sur ce chemin. Chemin également balisé par un dialogue imaginaire entre Félix et Ernest Hemingway qu’il a connu avant la guerre civile espagnole. Ce sont des dialogues d’amour et d’amitié, sous le coup d’une menace de mort omniprésente. Le tragique de la situation est dépassé par la chaleur, la douceur des paroles prononcées autour du lit de Félix ; dépassé aussi par l’évocation des souvenirs d’une enfance qui aurait été lumineuse s’il elle n’avait pas été déchirée par les combats de la guerre. Les mots et les phrases de Léonor de Récondo sonnent comme des rebonds pour deviner les songes, pour éclairer les pensées, pour comprendre les actes ou leur absence. Rien n’est vraiment linéaire dans ce livre. L’agonie de Félix est une conversation qui se dédouble convoquant le passé et le présent, l’amour et l’amitié, les Pyrénées et un hôpital parisien, sans que cela semble superflu.
Et le lecteur effleure des moments de simplicité et de vérité, aussi bien dans la chambre d’hôpital que dans le dialogue imaginaire avec Hemingway avec qui il a partagé le combat contre le fascisme de Franco. Le monde et ses violences y ont toutes leurs places. Et aussi la sensualité de moments imprévus. « Et, bientôt, mon corps nu entre, fend la première vague, le froid m’étreint, je sors la tête, j’aspire une grande goulée d’air et je plonge de nouveau, mon corps battu et rebattu par l’océan se souvient des nages passées, et le plaisir me submerge. »
La temporalité ordinaire se dissout. « On meurt, c’est tout, et on agrandit l’âme de ceux qui nous aiment. On la dilate. La mienne va bientôt exploser. » Quand la mort approche, la douleur devient insoutenable. « J’ai envie de t’étouffer avec l’oreiller, en te disant que c’est pour toi, pour nous aussi, que cette fin est absurde. »
L’écriture de Léonor de Récondo frappe comme toutes les cordes d’une guitare qui font entendre les élans et les reculs, la souffrance et le plaisir, l’engagement et le combat, un hôpital parisien et l’Espagne pendant la Guerre civile, ce qui se contredit et ce qui s’harmonise, et tous les sentiments contradictoires traversés pendant l’agonie d’un proche, très proche.
Les dernières lignes, du mourant à sa femme :
« Cécile, dans la nuit profonde qui m’entoure,
Alors que les fantômes ailleurs se réunissent,
Je dépose mon cœur dans le tien –
Tu dors, tu ne le sais pas.
Je tresse mon souffle autour du tien –
Si discret, tu ne le sens pas.
Et je m’abandonne au sommeil. »
© Léonor de Récondo : « Manifesto » – Sabine Wespieser éditeur, Paris janvier 2019 – 194 pages – 18 €
