Fiel – David Lopez – Le Seuil (2017) – Prix Livre Inter 2018

Ils se retrouvent régulièrement à la marge d’une petite ville, « genre quinze mille habitants, à cheval entre la banlieue et la campagne. Chez nous, il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnards mais aussi trop de verdure pour qu’on soit de vrais cailleras. » Ixe a la main verte, Poto est poète illettré, Lahuiss est l’intello, Jonas boxe ; et d’autres encore, Sucré, Miskine, Farid…  Ils fument l’herbe qu’ils font pousser au fond du jardin familial ; ils partagent musique, jeux de cartes, la baise aussi, quand c’est possible. Ils rêvent aux filles partageant le même collège ou lycée mais habitantes des quartiers plus bourgeois. La famille ? Rassemblée parfois devant la télé mais, le plus souvent, évanescente quand elle n’est pas ailleurs.

La boxe, donc, pour Jonas. C’est sa passion, transmise par son père. Il retrouve d’autres potes, Cyril, Virgile. Et son entraineur Monsieur Pierrot, qui croit en lui, mais « qui ne sait pas expliquer quelque chose sans avoir l’air énervé ». La boxe, ce sport qui lui permet d’atteindre « cette osmose entre la tranquillité de l’esprit et la violence du corps. » Monsieur Pierrot prépare Jonas à un combat qu’il sait difficile, contre un certain Kerbachi.

La force de Fief est dans son l’écriture dotée de pulsations multiformes selon les moments et les personnes, mais toujours ancrées profondément dans l’univers de ce lieu mal défini, de ces personnages au sortir de l’adolescence et dont la vie adulte n’est pas forcément porteuse de promesse, une écriture qui se démultiplie de chapitre en chapitre pour rester toujours au plus près de ce qui est raconté, ressenti, rejeté, accepté parfois. Cette écriture, rythmée parfois, rêveuse d’autres fois, capte leur façon de parler, leur façon de vivre. Avec des morceaux d’anthologie comme le résumé du livre de Voltaire, Candide et les commentaires qui s’ensuivent. Ou bien quand Poto lit un de ses poèmes écrit sans la moindre rature aussitôt critiqué par les autres. Et quand Lahuiss, l’intello de la bande, propose une dictée. Réaction : « Chacun s’est mis à rouler un joint ». Ce jeu de mots et de lettres, au sens littéral du terme, est l’une des plus belles scènes, et des plus drôles, du livre car il touche à la possibilité de comprendre l’inattendu, à partir d’un court texte de Céline.  Grandiose …

Fief célèbre ce que des mots peuvent dévoiler par eux-mêmes, en dehors de toute intrigue à nouer ou à dénouer. Cette écriture parfaitement contemporaine, est le reflet de notre monde actuel, et d’un milieu social en déséquilibre permanent.

La fin du livre est nouée par la violence, celle d’une soirée où se mêlent fils de bourgeois et fils de rien, où est développée la notion de taux de putassium, « l’indice qui permet d’évaluer la faisabilité d’un rapport sexuel (…) c’est lié à l’abandon de soi », soirée qui devient destructrice. Puis celle de l’entrainement et du combat de boxe où les mots se jettent les uns contre les autres, dans une pulsation vitale ou mortifère. L’écriture se fait plus âpre, plus sèche, celle de la souffrance, celle de l’échec.

Dans Fiel, les mots et l’écriture très rythmée de David Lopez permettent de saisir la poésie quotidienne paradoxale qui s’exprime dans ce contexte précaire et indéfini. Sur une rythmique ne faiblit jamais, David Lopez raconte, tout au long du livre, une réalité sociale en imposant une langue chahutée entre anecdote et humour, entre plaisir et brutalité, jusqu’à la douleur palpable du dernier chapitre, celui du match de boxe.

Et le constat final : « Les roseaux, dans la mare, n’ont plus de fleurs. Récemment, ils ont remplacé tous les lampadaires. » Qui, ils ?

 

©Fief – Le Seuil – Points – janvier 2019 – 240 pages – 7,20 €

David Lopez

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