La couverture, déjà, est saisissante : un profil de femme régulier, imposant de volonté, de sévérité légèrement atténuée par une esquisse de sourire, moqueur peut-être, ce manteau gris dont on devine le poids et le froid qu’il traduit, ce camaïeu de gris, noir et blanc…
Le bel avant-propos d’Olivier Rolin en dit suffisamment pour comprendre, mais n’en dit pas trop en laissant le lecteur indécis, perplexe, prêt à la découverte …
Écrit très peu de temps avant la mort de son auteure, le 20 juin 1931 au bagne de Solovki, premier goulag soviétique, ce récit commence par « Avertissement : ne soyez ni troublé, ni étonné par ma sincérité. » Ce n’est pas un plaidoyer, c’est une déclaration, une affirmation, un témoignage, un testament. C’est la vie d’une femme qui n’a jamais transigé sur son idéal d’égalité, qu’elle constate impossible à réaliser quand les bolchéviks prennent le pouvoir. Moins de quatre ans après la Révolution bolchevique de 1917, elle affirme que « (…) le pouvoir soviétique est devenu non seulement conservateur mais par-dessus le marché contre révolutionnaire« . Elle-même ne cherche pas le pouvoir. Elle commet quelques larcins, mène une vie assez bigarrée de diseuse de bonne aventure, partage la vie des paysans dans des kolkhozes en Sibérie… Elle pousse le paradoxe en qualifiant le Baron de Rothschild de « plus honnête homme que les salauds du Mossoviet, beaucoup plus ! » Elle évoque aussi l’amour qu’elle a partagé avec le poète Alexandre Iarolavski, exécuté dans les mêmes conditions quelques mois plus tôt, « … amour de deux enfants jouant ensemble, amour d’une mère et d’un fils, d’un père et d’une fille, ainsi qu’une grande amitié entre deux compagnons d’armes. »
Sa narration vive et concrète part d’une expérience crue de la faim, de la souffrance, de la prison et de bien d’autres expériences qu’elles résument à la fin de son autobiographie « (…) sa vie de la lycéenne révolutionnaire, étudiante pleine de rêves, l’amie du plus grand des hommes et des poètes, Alexandre Iarolavski, de l’éternelle voyageuse, de l’antireligieuse itinérante, de la journaliste du Roul, de la crieuse de journaux, de voleuse récidiviste et de la vagabonde diseuse de bonne aventure« .
Avec la diversité de ses expériences décrites dans ce livre court et tranchant, subtil et vif, Evguénia Iaroslavskaïa-Markon éclaire une idée absolue de l’engagement. Et retire toute légitimité à toute autre approche du combat social quand il est pris en cage par des professionnels de la Révolution.