Pays sans chapeau – Dany Laferrière – Zulma (2018)

Pays sans chapeau, c’est ainsi que l’on appelle l’au-delà en Haïti parce que personne n’a jamais été enterré avec son chapeau.

Comme beaucoup d’écrivains haïtiens de sa génération, Dany Laferrière a dû quitter son ile natale pour éviter d’être tué par les Tontons macoute, la garde rapprochée des présidents-dictateurs Duvallier père et fils entre 1957 et 1986. Au bout d’une vingtaine d’années, il revient pour la première fois en Haïti revoir sa mère, sa famille, ses amis, son île. Et pour pouvoir parler d’Haïti en Haïti. Depuis son enfance, tous ses proches l’appellent Vieux Os.

Pays sans chapeau est cette prise de parole, indispensable et difficile. Où est le pays qu’il a connu ? Comment a-t-il changé ? Là où le surnaturel a au moins autant de place que le réel, comment peut-il encore le comprendre, l’aimer, l’habiter. « Je veux perdre la tête, redevenir un enfant de quatre ans. Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J’écris : oiseau. Une mangue tombe. J’écris : mangue (…) On dirait un peintre primitif. Voilà, c’est ça. J’ai trouvé. Je suis un écrivain primitif. ». Mais un écrivain haïtien peut-il revenir à la réalité primitive ? Dany Laferrière a développé sa narration avec des allers-retours sans cesse entre le pays réel et le pays rêvé..

Le pays réel est décrit en alternant scènes familiales, amicales, sociales, frémissantes de réalité, scènes cocasses, tendres, un lézard vert qui s’accroche à sa chemise. Ou dures comme cette mère qui veut donner sa fille à Vieux Os, car elle a le malheur d’être pauvre et belle dans ce pays. Dure comme l’omniprésence des Américains restés totalement étrangers à Haïti. « Les Américains, (…) ils n’arrivent même pas à distinguer un Noir instruit d’un Noir illettré, et tu leur demandes maintenant de faire la différence entre un Noir mort et un Noir vivant . La mort est aussi, omniprésente « Cette ville est un grand cimetière. Toi tu n’es pas encore mort, alors fais attention. Ne fais confiance à personne. Ici, il n’y a ni bons, ni méchants, juste des morts. ».

Le pays rêvé affirme qu’un Haïtien est allé sur la lune bien avant Armstrong, il ouvre une porte en lui ouvrant l’accès à un autre monde ; ce pays qui possède des dons particuliers qui ne sont pas à vendre, ce pays imprégné de vaudou où s’affronte l’innocent Saint François d’Assise au Baron Samedi, le concierge des morts. Ce pays sans eau et sans arbre, « un caillou au soleil », mais peint, souvent magnifiquement, par les nombreux peintres haïtiens.

Pays sans chapeau est écrit avec tendresse et humour, même quand le désespoir le transperce. L’auteur, absent depuis vingt ans, reconstitue cette île kaléidoscope qui s’exacerbe dans son pays natal rivé à une pauvreté extrême et soutenu par une vision de l’au-delà, incompréhensible pour quelque étranger que ce soit. Après vingt ans d’exil, il se retrouve chez lui en Haïti, il en hume toutes les odeurs, il en touche toutes les misères, il en célèbre toute l’étrangeté, la proximité avec la mort toujours en question quand il dit « Maman, je ne peux quand même pas faire passer un test du genre « Es-tu un mort ou es-tu un vivant ? » à chaque personne que je croise sur mon chemin. » .  La figure tutélaire du livre dont il trace un portrait splendide est sa mère « qu’il avait laissée étonnamment naïve il y a vingt ans, est devenue maintenant, non pas une tigresse, mais un animal parfaitement capable de se défendre dans l’une des plus terribles jungles urbaines. ».

[Treize ans après, quand Dany Laferrrière reviendra de nouveau dans son île pour enterrer son père mort en exil à New-York. Dans L’énigme du retour (Julliard), il retrace ce voyage en livrant un constat très mélancolique : son île natale est-elle celle de ses souvenirs ? L’exil l’a-t-il profondément éloigné de Haïti ? Ce livre douloureux et profondément mélancolique est un autre excellent livre de Dany Laferrière.]

© Pays sans chapeau de Dany Laferrière (de l’Académie française), Zulma poche août 2018 – 286 p., 9,95 €
Pays sans chapeau a été publié à Montréal en 1994 et en France en 1999.

Dany Laferrière 

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