Les pieds sales – Edem Awumey – Seuil (2009)

Le XXIème siècle n’a que quelques années. Askia est chauffeur de taxi à Paris. Il habite dans un squat à la moquette crasseuse avec une seule lucarne qui lui donne « une petite vue sur les toits, les cheminées et les astres ».  Il sillonne les rues de la capitale avec son taxi et scrute le parvis du Centre Pompidou pour rechercher Sidi, son père qui avait, avant lui, quitté l’Afrique. Il retrouve sa trace grâce à Olia, une photographe d’origine bulgare qui avait fait un portrait de Sidi plusieurs années auparavant. Cette recherche dans les dédales souvent ténébreuses de Paris reste sans issue.

Cette quête est le fil rouge qui donne une dynamique à ce récit dont le sujet principal est les pieds sales qui piétinent dans Paris de fuites en abris précaires. Ils ont quitté leurs pays par crainte ou par nécessité. Askia espérait non seulement retrouver son père mais aussi avoir une vie meilleure. Ses nuits sont traversées de cauchemars où on le force à quitter la France. Il rencontre d’autres grands voyageurs qui sont parvenus à Paris et dont les espoirs se sont échoués sur les trottoirs de cette ville que d’autres appellent Ville Lumière. Restent pour eux, les pieds sales, ces squats où sont rassemblés leurs semblables, sous la coupe de marchands de sommeil et la menace de skinheads. Quant à Olia, la photographe bulgare, elle recherche ces visages de femmes et d’hommes arrivés à Paris, pour y deviner leur voyage. Mais, au bout de dix ans de présence, elle « avait juste envie de retrouver sa ville, les siens et les lieux de son enfance. »

Ce livre, à la construction très élaborée, dresse le tableau, déjà très sombre, de la migration d’il y a dix ans. Il décrit la constante inquiétude qui ne quitte pas Les pieds sales toujours à la merci d’une menace. « Pour les gens de sa race, la halte était un piège. Le temps d’accrocher les fesses à une rive, de boire un verre, de prendre une chambre à l’hôtel et d’aimer une fille au hasard d’une rencontre, le ciel vous tombait sur la tête et vous brûlait. » Chaque moment de repos d’Askia n’est que le court intervalle qui relie les frayeurs, le danger, avec des envies de disparaître dans l’explosion, « dernière page portant les mots Fin de l’Histoire ». Il raconte comment « dans les flots se trouve le dieu malicieux qui piège les naïfs par un appel alléchant au voyage. » A présent, ce « dieu malicieux » est devenu un ogre insatiable. Est-ce pour cela que Les pieds sales se termine par un chapitre d’une extrême violence, préfiguration de ce que sont devenues les migrations ?

Edem Awumey, écrivain togolais, a écrit  Les pieds sales il y a une dizaine d’années. En lisant ce livre, dont l’écriture est toujours juste et précise, une décennie après sa parution, le lecteur regarde en perspective l’emballement des migrations pendant cette période, en comparant ce qui y est décrit et la situation actuelle. Avec deux constantes, l’inadéquation des politiques et des structures d’accueil et la violence subie par celles et ceux qui ne peuvent pas trouver leur place.

© Les pieds sales de Edem Awumey, Seuil, 2009, 158 p., 17 €

Edem Awumey

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