Troisième opus du récent petit génie de la littérature française après « En finir avec Eddy Bellegueule » en 2014 et « Histoire de la violence » en 2016. Dans « Qui a tué mon père », Édouard Louis regarde son père avec le recul de celui qui s’est dépris de sa présence quotidienne et qui le reconsidère avec un œil nouveau. Il reprend ce qu’il avait raconté dans « En finir avec Eddy Bellegueule » avec un regard différent, presque opposé. Son père n’est plus son persécuteur, qui ne saisit rien de son fils et qui le rejette violemment quand il apprend qu’il est homosexuel. Quatre ans plus tard, il n’y a plus de haine entre le père et le fils, mais de la compassion, et le recul qui change le regard du fils. En bon disciple de Pierre Bourdieu, il observe son père en décelant les emprises et les effets de la société de ce début du XXIème siècle sur un homme qui fait partie des dominés de l’époque, dans une région où l’ancienne industrie est dévastée par l’évolution du néo-libéralisme
Et plus particulièrement, l’auteur observe le corps de son père qui porte les traces de sa vie dure au travail et de l’alcool, les deux étant liés, car « l’alcool remplissait la fonction de l’oubli ». Il observe que « abandonner l’école le plus vite possible était une question de masculinité ». Et constate que « nous sommes ce que nous n’avons pas fait parce le monde ou la société nous en a empêchés ». Et que « Comme tu as eu l’impression de ne pas avoir vécu ta jeunesse jusqu’au bout, tu as essayé de la vivre toute ta vie. ». Et cette autre phrase, tellement radicale « Les autres, le monde, la justice n’arrêtent pas de nous venger sans se rendre compte que leur vengeance ne nous aide pas mais nous détruit. Ils pensent nous sauver avec leur vengeance mais ils nous détruisent. ».
Les dernières pages du livre sont une énumération de mesures prises par les gouvernements successifs de mars 2006 à août 2017 en montrant leurs effets catastrophiques sur les plus pauvres et plus particulièrement sur le corps de son père. « L’histoire de ton corps est l’histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire. L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. » Et de conclure (c’est le père qui l’affirme) « je crois qu’il faudrait une bonne révolution. »
Tout ça pour ça ? Quelle déception ! Dans son premier livre « Pour en finir avec Eddy Bellegueule », Édouard Louis avait tenté une réflexion approfondie par rapport à sa propre vie et son milieu dont il a voulu s’extraire, en l’éclairant par les lumières de Pierre Bourdieu. Ici, il s’abrite sous ces mêmes lumières pour ne dire que slogans et simplismes. Peut-être a-t-il envie de faire de la politique ? C’est son droit, bien sûr. Mais l’écrivain aura du mal à survivre.
