Congo – Éric Vuillard (Actes Sud – 2012)

Depuis quatre ans, je lis avec un grand intérêt les livres écrits par Eric Vuillard, édités chez Actes Sud : Tristesse de la Terre en 2014, 14 juillet en 2016, L’Ordre du jour – Prix Goncourt 2017. En lisant Congo écrit en 2012, la profonde cohérence de son œuvre m’est apparue évidente.

Congo, écrit il y a cinq ans, commence de façon semblable à L‘Ordre du jour : il s’agit d’une conférence des personnes aux lourdes responsabilités et se prenant au sérieux, mais en fait des pantins manipulés, décrits avec toute la narquoise acidité, que l’on retrouve dans L’Ordre du jour. En ce samedi 15 septembre 1895, les dirigeants des Grandes Puissances européennes organisent à leur profit « la plus grande chasse au trésor de tous les temps », c’est-à-dire le pillage des ressources naturelles et humaines de l’Afrique centrale. Eric Vuillard excelle dans ses descriptions goguenardes et impitoyables de ces « Grands » du monde dont les gestes, les paroles, les comportements sont emplis de voracité et aussi d’un complet conformisme de classe et de médiocrités personnelles plus ou moins profondes, toujours prêts à se soumettre aux plus forts ou aux plus vils du moment de leurs intérêts sont préservés.

Le véritable enjeu de cette conférence est l’attribution au roi des Belges d’un territoire immense et richissime en ressources naturelles, qui deviendra le Congo Belge. Ces négociations ressemblent à des assemblées générales de copropriétaires qui se rêvent princes de territoires immenses qu’ils pourront exploiter jusqu’à la moelle, femmes et hommes compris, en « faisant signer des tas de papelards à de chefs africains qui n’y comprennent rien. Tenez ! Signez ! C’est pour le grand polichinelle ! Vendez pour trois perles votre terre, et votre force de travail pour cinq rouleaux de calicots ! Et les rois signent. Et s’ils ne signent pas, on les zigouille. ». Eric Vuillard utilise toute la raillerie et la colère de son écriture en fustigeant la course effrénée des puissances européennes pour une captation totale de la richesse d’un pays, d’un continent, ce que l’on appelle colonisation.

Il met aussi en scène des quidams, petits bras armés de cette spoliation à coups d’expéditions punitives, dont la réussite se compte au nombre de mains coupées aux Africains tués ou réduits à la servitude ; ils sont sur le terrain, perdant leur âme et leur sens de l’humain pour le plus grand bien du propriétaire du lieu, le roi Léopold qui ne se prive pas de créer cyniquement des faux-semblants comme ce « comité à but philanthropique, l’Association internationale africaine » .

L’écriture de Éric Vuillard, semée d’ironie et moquerie contre les Grands, est d’une rigoureuse précision pour décrire les faits et les actes de ceux qui ont été les instruments, lucides ou non, de cette colonisation impitoyable.  A la toute fin du livre, l’auteur clame sa colère à travers de celle de Fièvez, serviteur fidèle de cette colonisation qui avait coupé les mains de ceux qui osaient résister, mais qui, à la veille de mourir, est hanté par ceux qu’il a tués et injurie Dieu et ses masques humains devenus diaboliques.

Le propos tenu dans Congo rejoint celui développé dans les trois ouvrages suivants : un violent réquisitoire contre les puissants qui asservissent les femmes et les hommes, une description des rouages visibles ou discrets de ces opérations de spoliation – contre les Indiens aux États- Unis dans Tristesse de la Terre, l’annexion de l’Autriche par Hitler dans L’Ordre du jour -, la présence des opprimés aux portes de leur Histoire dans 14 juillet.

Éric Vuillard édifie ainsi une œuvre singulière et cohérente aussi bien du point du vue littéraire que politique.

© Congo de Éric Vuillard, Babel, août 2014, 112 p., 6,70 €

Eric Vuillard

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