Entrez dans la danse – Jean Teulé (Julliard – 2018)

Avec sa verve et son humour, Jean Teulé est un écrivain connu qui fait le bonheur des médias chaque fois qu’un de ses livres est publié, . Après s’être lancé dans la bande dessinée, il a viré vers l’écriture de livres dans les années 90, le plus souvent inspirés de faits ou de figures historiques. Son dernier roman a été écrit à partir d’un fait historique relaté en 1518 dans une chronique alsacienne : « Une étrange épidémie a eu lieu dernièrement / Et s’est répandue dans Strasbourg / De telle sorte que, dans leur folie, / Beaucoup se mirent à danser / Et ne cessèrent jour et nuit, pendant deux mois / Sans interruption, / Jusqu’à tomber inconscients. / Beaucoup sont morts. » De quoi titiller le gout de l’étrange de Jean Teulé.

Le livre commence par un infanticide : Enneline, avec l’accord de son compagnon, tue son enfant pour éviter de le manger car elle ne peut plus le nourrir. Quelques minutes après, « Enneline étend une jambe derrière elle comme chaussée d’une ballerine et renverse son visage vers le ciel. La blonde pirouette et creuse ses reins, se penche très en avant en soulevant haut ses mains dont elle écarte les doigts. (…) Elle se lance dans un demi-tour, écartant ses bras qu’elle étend avec grâce puis remue en un battement d’ailes de libellule. »

Enneline est l’une des premières à se mettre à danser. Très rapidement, cette épidémie de danse convulsive va gagner une foule considérable submergée par une misère noire, qui se livre au cannibalisme pour tenter de survivre, alors que l’Eglise catholique règne sans partage pour conserver sa richesse et sa toute-puissance. Quant au Maire de la ville, Drachenfels, il tergiverse entre les appels de son peuple, la défense des intérêts de sa caste, l’énormité du défi à relever… Et il cauchemarde « Quand je pense qu’il y a quelques années Érasme avait écrit des Strasbourgeois : « La discipline de Romains, la sagesse des Athéniens, la sobriété des Spartiates ». Putain, s’il revenait en ville, il ferait une drôle de gueule au milieu des agités du cul.»

Jean Teulé raconte ces longs mois de danse mortifère, en glissant – ce qui est une des spécificités de son style – des expressions contemporaines dans son récit historique : il y a une « rave party » et un « flash mob » dans la cathédrale ; les indulgences sont « en solde », les danseurs en convoi forment une « technoparade ». Au-delà de ces danses mortuaires, se profilent les enjeux de ce début du XVIème siècle, notamment l’émergence de la Réforme en protestation face à cette Église catholique dont l’autorité est battue en brèche par l’affaire des Indulgences.

On peut se demander si la verve de l’auteur ne l’entraîne pas à quelques embellissements et enlaidissements de l’action des principaux personnages suivant la place qu’il veut bien leur donner. Et de se poser la question sur la distance qu’il prend avec la vérité historique. Pourquoi évoque-t-il une imaginaire menace turque alors que ceux- ci n’ont pas dépassé Vienne ? Y a-t-il quelque message politique dans cette invention ?

La clé de « Entrez dans la danse » se trouve peut-être dans ce propos concernant les gargouilles de la cathédrale de Strasbourg que j’applique volontiers à ce récit mené avec une indiscutable maestria : « Légendes ou mensonges, on se croirait dans un conte de fées où tout peut arriver, les métamorphoses les plus invraisemblables. »
Mais ce récit est-il de l’Histoire ?

© Entrez dans la danse de Jean Teulé, Julliard, 160 p., 18,50 €

Jean Teulé

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