Une femme, Amandine, serre son bébé tout contre elle. Tendresse absolue. Et l’épouvante quand on vient lui prendre son enfant dans les bras. « (..) ils avaient en eux cette brutalité, cette chose que les mâles ne peuvent réprimer, leur stupide instinct. Ce que tu finirais par développer à leur contact : la peur des femmes, la peur des autres, la suprématie des couilles. » Ces premières pages plongent d’entrée dans une tragédie humaine, sans en révéler la clé.
Rafah, dans le sud de la bande de Gaza : deux frères dans une voiture. Nadr lit les poèmes de Darwich et de Rûmi et rêve de « faire un pas sous la lune, sentir le vent et l’espace, se souvenir de ceux qui ont foulé les chemins avant nous, lire les poètes, honorer ceux que nous sommes et ne pas craindre la mort ». Khalid rêve de sacrifice pour la cause palestinienne et se rapproche du Hamas. C’est autour de ces deux frères que l’action se développe, faite d’adversités indestructibles, de visions de la vie opposées, dans un des territoires les plus pauvres et les plus armés de notre Globe, territoire où la haine ne fait que s’exacerber.
Le Globe est aussi le terrain d’action d’un troisième homme, Fernando : il vit à Paris et travaille dans un Fonds qui attribue des sommes plus ou moins élevées à certaines régions en souffrance, ici, en Palestine. Fernando est désigné pour prendre contact et négocier avec les Autorités palestiniennes.
Ces quatre personnages se croiseront, se frôleront, s’éviteront, se manqueront, liés par une histoire commune, celle du Moyen-Orient, théâtre d’une guerre bientôt centenaire. Ces quatre personnages ont aussi un autre lien, il est familial. Lien lâche et pourtant toujours prégnant comme s’il influençait le cours du temps.
Ce livre traverse notre époque embourbée dans l’un de ses plus longs conflits « où les intérêts à défendre sont plus importants que les enfants qui meurent ». Il offre quelques scènes d’une grande intensité dramatique, comme le passage dans les tunnels qui relient Gaza à l’Égypte, comme l’attaque d’un convoi de Palestiniens cherchant à rejoindre Ramallah par des hélicoptères israéliens.
Et aussi, la description de négociations entre dirigeants palestiniens et émissaires occidentaux.
Et aussi, la bouleversante beauté de la musique jouée par des Bédouins « relégués au-dessus d’un champ d’ordures en bordure d’une route oubliée ».
Et aussi l’errance de cette femme, Amandine, qui avance en fermant les yeux au bord d’une falaise…
Et aussi un attentat en plein Paris…
Les dernières lignes s’ouvrent sur un court extrait d’un poème de Mahmoud Darwich, une ouverture, « une porte béante, peut-être une fenêtre…»
Imago est un livre de tempête, un livre de notre temps angoissant, un livre qui parle d’amour, de guerre, de migrations, de famille dispersée, un livre qui distille quelques gouttes de poésie et quelques lueurs de beauté… entre autres. Un livre qui se lit jusqu’au dernier mot.
Imago (n.m.) : désigne le stade final d’un individu dont le développement se déroule en plusieurs phases (en général œuf, larve et imago)
© Cyril Dion : « Imago » – Actes Sud, août 2017 – 224 pages – 19 €
