James Noël n’a pas encore quarante ans mais est déjà une figure reconnue dans la littérature haïtienne. Il est l’auteur de deux recueils de poèmes, d’une anthologie de poésie haïtienne contemporaine qui fait référence, et le maitre d’œuvre de la revue littéraire et artistique haïtienne IntranQu’îllités, rassemblant des contributeurs de monde entier.
Belle merveille est son premier roman. Mais est-ce un roman ?
12 janvier 2010, Port-au-Prince tremble pendant quelques dizaines de secondes. « Une onomatopée du monde ». Un goudougoudou. Trois cent mille morts. Bernard est en vie mais coincé entre « un poteau électrique sur la nuque et une pile de blocs de pierre d’un immeuble effondré jusqu’aux hanches. ». Amore, Napolitaine bénévole d’une ONG humanitaire, le sauve. Coup de foudre. Pour échapper à la détresse chaotique qui règne à Port-au-Prince, Amore et Bernard prennent l’avion pour Rome. Est-ce le récit d’une fuite ?
Si vous aimez les romans bien ficelés, à l’écriture bien bordée, passez votre chemin : vous vous perdriez dès la deuxième page. Lectrices et lecteurs prêts à larguer les amarres, montez dans ce vaisseau ouvert à tous vents, où chaque page explose comme une bombe, s’illumine comme un feu d’artifice, se dilue comme un nuage trop lourd. Sans cesse, une fontaine peut surgir, une rivière peut s’ouvrir, un gouffre peut vous engloutir, des bras peuvent s’offrir, des corps vont s’unir fugacement, d’autres resteront ensevelis.
Ce roman est une création totalement rivée à l’une des catastrophes naturelles les plus cruelles depuis longtemps dans un pays dont l’histoire est le récit perdu d’un grand rêve d’émancipation. Et qui ne s’en remet pas, sous la protection étouffante du voisin nord-américain et la pitié intéressée et rémunératrice des ONG internationales. Le texte est émaillé de récits de vivants qui n’en reviennent pas de ne pas être morts. Le poète prend le pas sur le romancier pour dire la réalité. Les mots s’entrechoquent, se combattent, glissent les uns sur les autres. Ils pèsent comme ces briques sous lesquelles des agonisants seront peut-être sauvés. Ils sous-pèsent ce « pays qui n’en finit pas d’évoluer au bon gré du papillon maléfique. ». Ces mots libèrent pour « crier, crier comme si dehors nous brandissions nos poumons comme des parachutes du désespoir. ». Ces mots théâtralisent la réalité tremblante de ce tiers d’île « Désormais, votre situation relève de la performance artistique ! Comme les murs du séisme, comme les murs du palais présidentiel effondré, votre misère est tombée dans les domaine public de l’art contemporain !»
Quelques semaines après le goudougudou, le choléra, apporté par des soldats de Nations Unies, « déferle avec la vitesse d’un fleuve en crue qui se déverse dans l’au-delà ». Ne reste-t-il qu’à attendre la BELLE MERVEILLE, « cette bonne nouvelle qui circule et inspire jusqu’au dernier trou des villes et des villages. » ? Curieuse attente presque christique, surprenante dans ce texte où Dieu est maudit. Mais c’est Matthew qui déboule, cet ouragan qui, sept ans après « a soufflé la bougie qui tient l’âme fragile de la paysannerie. »
La poésie s’infiltre dans toutes les lignes de ce livre. La force de l’imaginaire haïtien héroïse le malheur et la résilience. Du grand art. La poésie, cette Belle Merveille, sauvera-t-elle Haïti ? Ou n’est-elle qu’un cri flamboyant lancé en vain au monde qui s’en fout et au ciel qui répond par des ouragans ?
Avec Belle Merveille, James Noël écrit des phrases en forme de cris d’agonie, de clins d’œil amers, de provocations, d’observations paradoxales. C’est aussi un livre d’amour qui finit sur cette phrase .« Le ciel s’est dégarni en un temps éclair, les oiseaux ne tarderont pas à revenir de plus belle. ».
James Noël, romancier poète ou poète romancier, apporte une nouvelle pierre singulière à l’édifice retentissant et étincelant de la littérature haïtienne.
© James Noël : « Belle merveille » Éditions Zulma, Paris, août 2017 – 160 pages – 16,50€
