Le procès de l’Amérique – Ta-Nehisi Coates – (Autrement – 2017)

En 2015, Ta-Nehisi Coates a fait une irruption retentissante dans la pensée critique des Noirs-Américains avec Between the World and Me traduit en français en 2016 sous le titre éloquent de Une colère noire – lettre à mon fils. Selon Toni Morrison, Prix Nobel de littérature en 1993 et seul auteur afro-américain à avoir reçu cette distinction, Coates est devenu la nouvelle voix capable de remplir le vide laissé après la mort de l’écrivain James Baldwin en 1987. En 2014, il avait écrit un essai dont le titre anglais The Case for Reparations, qui vient d’être traduit en français et publié sous le titre Le procès de l’Amérique, préfacé par Christiane Taubira qui termine par ces mots du poète palestinien Mahmoud Darwich, « Nous aussi nous aimons la vie quand nous en avons les moyens ». .

Le réquisitoire est implacable. En parcourant l’histoire des Noirs-Américains depuis l’esclavage jusqu’à maintenant, Coates dénoue un apparent paradoxe. « A l’origine de l’Amérique, il y a la spoliation des Noirs et la démocratie blanche, deux éléments qui ne sont pas contradictoires mais complémentaires. «. Il brosse les portraits successifs de cette complémentarité historique tout au long de l’histoire de États-Unis. Au départ, l’Amérique blanche a dénié toute humanité aux Noirs en les réduisant à l’esclavage qui, avec le temps, devenait de plus en plus violent. Après l’abolition de l’esclavage arrachée en 1865, le racisme a survécu, voire proliféré, avec les lois discriminatoires. Au-delà des lois, les droits élémentaires sont bafoués, comme le respect, « (…) l’essence du racisme américain est précisément l’absence de respect. », comme la non-reconnaissance de la cellule familiale pour les Noirs, alors que c’est l’un des fondements de la démocratie américaine, comme l’exclusion implicite ou explicite des Noirs pour bénéficier des lois sociales, des prêts immobiliers.

Même si Coates reconnait que « les Afro-Américains vivent mieux qu’il y cinquante ans », il insiste sur les inégalités restées criantes pour l’accès à l’emploi et au logement. Ce dernier point est important car l’idéal américain est d’être propriétaire de sa maison. Mais la discrimination « a détruit toute possibilité d’investissement là où vient les familles noires. » La majorité des victimes de la crise de subprimes en 2006 ont été des familles noires. L’élection de Barack Obama, le prestige de sa femme Michelle et la réussite de leurs filles ne sont pas des signes probants de la progression de l’égalité raciale mais juste « la preuve de la persévérance singulière de leur famille. ». Coates montre en outre que « la pauvreté noire n’est pas la pauvreté blanche. » . Il note que « Il y aura toujours des Noirs pour faire deux fois mieux. Mais ils apprennent à leurs dépens que la prédation blanche est trois fois plus rapide. » Il est très réservé sur l’Affirmative Action qu’il qualifie de « diversité de bon aloi pour avoir la conscience tranquille.» Car il constate que « les diplômés noirs connaissent un taux de chômage plus élevé que leurs homologues blancs et les candidats noirs sans casier judiciaire auront toujours à peu près autant de chances d’être embauchés à un poste que les Blancs avec un casier. »

Le titre américain de ce livre, « The Case for Reparations » (Plaidoyer pour une réparation) affiche l’idée d’une compensation financière que l’Amérique blanche devrait verser à la communauté noire comme celle que les Allemands ont versé à l’État d’Israël où les Juifs s’étaient regroupés. Coates soutient cette idée d’une compensation. « Plus important qu’un quelconque chèque, le paiement des réparations signifierait que les États-Unis sortiraient enfin de l’enfance, qu’ils ont dépassé le mythe de leur innocence pour acquérir une sagesse digne de leurs fondations. »

Les États-Unis seront-ils sages un jour ? Au vu de la récente élection d’un Président raciste et de la violente hargne renouvelée des suprématistes blancs, la sagesse n’est pas au coin de la rue. C’est une raison de plus pour lire Ta-Nehisi Coates. Et pour regarder l’enjeu sans trembler.

Ta-Nehisi Coates

 

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