Richard Ford est un écrivain américain à grand succès depuis le début des années 90. Il vient d’écrire un livre sur son père et le publie avec un autre livre qu’il avait écrit sur sa mère, il y a une trentaine d’années. Cela devient « Entre eux », publié récemment en France.
Que cherche-t-on en lisant une biographie ? En savoir davantage sur un auteur connu dont on aime lire les livres et pouvoir mieux les comprendre ? Ou seulement lire un bon livre sans se soucier d’un côté autobiographique de l’ouvrage ? Ou bien en y cherchant quelques pépites sur l’art de vivre ? C’est de cette façon que j’ai abordé Entre eux, n’ayant jamais rien lu de Richard Ford jusqu’à présent.
Ce père, Parker, est représentant de commerce et donc toujours sur les routes. Il ne revient que le week-end à la maison. Un homme « voué au bonheur », au corps lourd, « au visage charnu et malléable ». Un type sympa, simple. Son mariage avec Edna est d’amour. Ayant un souffle au cœur, il ne part pas à la guerre pour délivrer l’Europe. Pendant longtemps, pas d’enfant. Quand inopinément, au bout de quinze ans de mariage, le petit Richard est né. Le père a trente-neuf ans, la mère, trente-trois. « La présence de l’amour suffirait. Nous allions être heureux. ». Ce père, toujours absent, reste une énigme. «(…) depuis l’enfance, ses absences continuelles me paraissent le caractériser plus que sa présence intermittente. ». Ses premières leçons retenues par son fils : « composer avec les choses qu’il faut bien gérer, trouver des explications possibles. »
Une première crise cardiaque, puis une seconde obligent le père à s’arrêter de travailler. Il reste la plupart du temps à la maison sans que le mystère que tout père garde pour ses enfants, soit éventé. « Tout s’enfuit ou presque. Sauf l’amour. ». Il finit par acheter une maison dans un quartier résidentiel. Il meurt quelques mois après, entouré de sa femme et de son fils. Une mort qui, incidemment, libérera le fils et en fera un écrivain.
Avec ce récit écrit à voix basse – c’est davantage une confidence qu’un récit –, Richard Ford constate que son père existe par-delà sa mort grâce à des mots qui n’auraient jamais été écrits s’il avait eu « une longévité normale, il est probable que je n’aurais jamais écrit une ligne, tant son influence m’en aurait empêché. » A quoi tient l’acte d’écrire ? A la délivrance permise par la mort du père ?
La deuxième partie du livre consacrée à Edna, la mère de Richard Ford, a été publié une trentaine d’années avant. Ce récit est écrit avec beaucoup de tendresse et une certaine mélancolie délicatement retenue. Il constate l’éloignement progressif correspondant aux « années d’ébauche et de réalisation pour ce qui me concerne »(page 154), éloignement qui ne conduit pas à l’oubli, mais plutôt à une distance qu’il faut assumer. Edna découvre qu’elle a un cancer du sein. Il lui reste sept ans à vivre. Une maladie grave sépare le malade de son entourage malgré tous les bons sentiments. « (…) à la vérité, tout ce que nous aurions pu faire l’un pour l’autre, nous l’avons laissé passer à ce moment-là. Même ensemble, nous étions de nouveau seuls. ». Mais c’est bien elle qui « a rendu possibles tous mes attachements les plus sincères. ».
La postface à ces deux récits est une subtile réflexion sur le temps qui passe, la fuite des souvenirs et le spectre de l’absence. « L’absence nous encercle, nous infiltre. Le reconnaitre n’est pas une perte en soi, ni même un sujet de regret. La vie est ainsi, autre vérité pérenne qui s’impose à nous. ». C’est ainsi que se termine ce livre doux et implacable.
ENTRE EUX de Richard Ford (2017). Traduit de l’anglais par Josée Kamoun (2017) – Éditions de l’Olivier, 192 p., 19.50 €.
