Cela commence par un enterrement, celui de Rosamund dont la mort est accueillie avec un certain soulagement par sa famille. Sa voix, cependant, continue de résonner sous la forme d’un enregistrement où elle commente une vingtaine de photos qui retracent sa vie et, plus encore, celle des autres. Le tout adressé à certaine Imogen, en partie ignorée par la famille.
On se doute bien dès le début que le sujet sera la famille, ses larmes, ses peines, ses joies et ses morts. Et ses secrets. Et qu’en laissant ces enregistrements, cette tante sans héritier a trouvé comment laisser un héritage immatériel à la famille. Rosamund veut ainsi léguer à Imogen « la conscience de ton histoire, de ton identité ; la conscience de tes origines et des forces qui t’ont façonnée ». En mots moins élégants, dire la vérité restée cachée.
Chaque chapitre est le commentaire d’une seule photo, une note dans le cours du temps, un regard sur le lieu. Mais comme le précise l’auteur, «(…) elles n’ont de valeur que dans la mesure où elles corroborent ma mémoire défaillante. Elles sont la preuve que les choses que je me rappelle – certaines des choses que je me rappelle- se sont vraiment produites, qu’elles ne sont pas des souvenirs fantômes ou des chimères, des fantasmes. Mais qu’en est-il des souvenirs pour lesquels il n’y a pas de photos, pas de corroborations, pas de preuve ?»
Jonathan Coe joue élégamment avec ce procédé intermittent pour rendre compte d’une chronique familiale. Chaque photo est analysée de près pour essayer d’en découvrir la signification. L’une d’entre elle est « bien plus expressive que les mots que je peux trouver pour la décrire » . Pour d’autres photos, c’est le cadre qui est plus important que les êtres humains, comme cette cuisine étriquée. Les photos sont des marqueurs du temps qui passe, des êtres qui vieillissent, des rêves qui se meurent, du bonheur qui se disloque. Elles peuvent être aussi des énigmes en fonction de la présence ou de l’absence de certaines personnes. Elles ne se livrent qu’en tant que mise en scène d’une réalité revélée par le prisme du commentaire.
Cette mise en distance pratiquée par Jonathan Coe entre pour une grande part dans le charme de son livre. L’autre est la narratrice, femme indépendante sans être indifférente. Sa marginalité lui donne la liberté de penser, se sentir et de parler. C’est la seule qui peut faire ce travail d’archéologie familiale sans avoir à chercher à la rendre compréhensible pour le reste de la famille. Apparitions ou disparitions, d’autant plus que se pose la question d’être capable d’aimer en même temps qu’en être victime, « d’admettre la vérité de deux choses qui se contredisent complètement ». Le roman se termine par un coup de théâtre concernant Imogen, celle à qui sont destinées ces photos. Car se pose la question de son existence même…
Dans ce roman très troublant, Jonathan Coe questionne le sens de la vie, sa logique, sa cohérence. Sous la narration apparemment sage, souvent inquiète et parfois malicieuse d’une vieille dame mourante, toute vérité dévoilée reste encore dangereuse à confirmer.
LA PLUIE AVANT QU’ELLE TOMBE de Jonathan Coe (2007). Traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin (2009) – Gallimard (Folio), 268 p..
