Ndongo Passy et Grekpoubou vivent ensemble. Elles sont co-épouses du même mari, Lidou. C’est jour d’élections du président. Et c’est la première fois qu’elles votent. Elles en sont fières, et patientent dans la longue file des votants, heureuses d’être consultées. « Au bout de la patience, il y a le ciel ». Lidou, lui, reste à la maison, fier de sa petite entreprise. Après le repas, il se repose et médite sur sa réussite. Il ingère un liquide pour revigorer sa virilité flageolante qui fait son effet avec ses deux épouses… En écoutant la messe à la radio alors que ses épouses sont à la cathédrale, « Lidou, après un bref temps de dures souffrances, partit seul voyager du côté de la case des ancêtres. ».
C’est ainsi que commence ce livre avec une écriture vivante, ironique, imagée et ses mots venant de la rue. Elle devient dramatique, puis révoltée quand Zouaboua, le frère du défunt, intrigue impitoyablement pour récupérer l’héritage du défunt à coup d’intimidations, de mensonges, de violence, de corruption… Les deux femmes n’hériteront que « des mangues qui vont mûrir ».
La description du combat de ces deux femmes face à l’injustice et la corruption dont les hommes se servent pour nier tout droit aux femmes est à la fois sobre et fulgurante. Description aussi de cette relation entre elles deux, qui se trouvaient en concurrence plus ou moins régulée devant leur mari commun. Et qui se mue en une solidarité pleine de tendresse et de détermination. « Cette nuit, la mort de Lidou les avait rapprochées. Cette mort avait fait d’elles des jumelles, deux femmes plus sœurs que sœurs donc. » Solidarité qui s’avère être impuissante face aux manœuvres de Zouaboua qui parvient à déposséder complètement les deux ex co-épouses, malgré quelques victoires temporaires mais finalement inutiles. Au tribunal, elles croisent un homme Peuhl « beau et présent » qui était un ami du défunt. Il paie le taxi aux deux co-veuves qui ont perdu leur procès sur toute la ligne. « On a perdu… C’est comme ça la vie de veuves. Dans le pays, c’est la maltraite de veuves, toute l’année. Mais la vie continue. »
Oui la vie continue, comme le montre la dernière partie du livre qui offre une issue heureuse après cette vision violente de la condition féminine.
L’écriture vivante, colorée et parfois âpre de Adrienne Yabouza donne une réelle densité à ce roman qui s’indigne sans réserve contre l’injustice contre les deux co-épouses et qui s’attendrit avec pudeur sur leur destinée finalement heureuse. Et, au-delà des agissements des personnages, on perçoit autant la dureté impitoyable d’une société quand elle est dominée sans partage par les hommes que l’esquisse du bonheur quand un homme est respectueux. Ce qui montre aussi que, là-bas comme ailleurs, les femmes ont un long combat à poursuivre pour avoir le droit de vivre pleinement leur liberté et de choisir leur vie sans dépendre de l’humeur et du pouvoir des mâles.
Adrienne Yabouza
Adrienne Yabouza est née en république centrafricaine. Elle est actuellement réfugiée politique en France et vit dans les Côtes d’Armor. Elle a déjà publié trois romans et deux albums pour la jeunesse.