Lettres noires : des ténèbres à la lumière – Alain Mabanckou (Fayard – avril 2016)

Le 17 mars 2016, l’écrivain congolais-français Alain Mabanckou a prononcé, devant ses collègues du Collège de France et un large public, sa « Leçon inaugurale » dont le titre est très explicite, « Lettres noires : des ténèbres à la lumière ». Il retrace l’histoire de la littérature d’Afrique noire d’expression française, à laquelle il associe les littératures caribéenne et afro-américaine.

Cette histoire débute par la littérature coloniale, liée évidemment à  la colonisation française en Afrique, avec les images et clichés que l’on plaquait (que l’on plaque encore) sur l’homme africain considéré comme inférieur. Elle se poursuit avec les combats menés depuis un siècle pour s’en dégager et l’émergence, qui devient actuellement une belle efflorescence, d’une littérature spécifique d’Afrique noire d’expression française.

Alain Mabanckou observe la dialectique entre cette littérature et la littérature coloniale française « à la fois inséparables et antagoniques » qui aboutit « à un constat indéniable : la littérature coloniale française a accouché d’une littérature dite « nègre », celle-là qui allait revendiquer plus tard une parole interdite ou confisquée par l’Occident, permise parfois ou sous tutelle ou sous le couvert d’une certaine aliénation culturelle jusqu’à la franche rupture née de « négritude, ce courant qui, dans l’entre-deux-guerres, exaltait la fierté d’être noir et l’héritage de la civilisation française » (..) » (pages 27&28). L’auteur retrace  l’évolution de cette littérature, qui prépare et accompagne la décolonisation.  En 1921, le guyanais René Maran, fut le premier noir à obtenir le Prix Goncourt en 1921 avec son livre Batouala. Dès les années 20, les écrivains coloniaux qui vivent dans les Colonies et justifient l’entreprise coloniale, se trouvent remis en cause par les écrivains voyageurs qui dénoncent violemment le système colonial, de Gide jusqu’à Céline en passant par Michel Leiris et aussi l’écrivain journaliste Albert Londres. A côté, d’autres influences ont été importantes comme celle de la littérature arabe, bien antérieure à celle de la colonisation occidentale, celle, plus contemporaine, de la littérature afro-américaine, et celle de sa sœur-jumelle, la littérature caribéenne.

L’auteur retrace l’accélération de la prise en main de la parole et de l’écrit par les auteurs noirs après la deuxième guerre mondiale et la période de la décolonisation, l’arrivée des femmes dans le paysage littéraire, la problématique de la migration qui surgit dès les années 70, l’émergence de la mondialisation dans les années 2000, tout ceci contredisant les âneries insultantes proférées par un Président de la République française à Dakar en 2007 sur « l’homme africain (qui) n’est pas assez entré dans l’Histoire. »

Alain Mabanckou montre combien la littérature francophone peut ainsi se diversifier, se démultiplier, se déployer, non pas pour étendre un empire mais pour réfracter tous les éclats d’un monde aux multiples écritures miroitantes, refusant ainsi « la départementalisation de l’imaginaire ».

En refermant ce livre court et passionnant, je n’ai pas pu m’empêcher de craindre qu’un certain milieu littéraire germanopratin se « départementalise » à force d’en revenir trop souvent aux mêmes icônes médiatiques ou auteurs cultissimes toujours vénérés dans l’histoire littéraire nationale. Respirons le grand large !

Alain Mabanckou  prononçant sa Leçon inaugurale au Collège de France le 17 mars 2016. / AFP / JACQUES DEMARTHON

2 commentaires sur “Lettres noires : des ténèbres à la lumière – Alain Mabanckou (Fayard – avril 2016)

  1. Après « Lumières de Pointe-Noire » et « Petit piment » je viens de terminer « Le monde est mon langage ». Je vois qu’en ce moment nous avons des goûts de lecture communs. J’ai aimé les trois pour des raisons diverses. Peur-être aurons-nous la chance d’en parler lors de notre prochaine rencontre. Amicalement.

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