Que n’a-t-on pas écrit à propos de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, un certain 22 novembre 1963, sous le soleil éclatant de Dallas ? Renouveler la littérature autour de cet événement relève de la gageure. Jean-Christophe Buchot relève le défi en reconstituant les cinq dernières secondes de JFK. Ce qui lui permet de n’être jamais démenti et d’ouvrir toutes les pistes possibles ou non.
L’ambition de l’auteur et la forme de son livre lui donne le champ libre pour interroger tel ou tel événement de la vie de Kennedy pour façonner une version de la mythologie multiforme du personnage. D’emblée, la réflexion se développe autour du mythe de la famille Kennedy arrivée au milieu du XIXème siècle sur le sol américain et dont le patriarche ne doute pas du destin fabuleux qui attend les générations qui suivent. Reste à savoir qui l’incarnera.
C’est donc autour de la famille Kennedy que le presque-déjà-mort recherche les origines de son destin à être tué dans cette ville dont il savait les dangers. Cette famille, exemple éclatant de la réussite à l’américaine mais toujours payée très cher par les trop-tôt disparus : depuis le frère ainé, Joe Junior, mort en 1917 aux commandes de son avion au-dessus de la Manche alors qu’il devait lâcher des bombes des positions allemandes, ; jusqu’à son troisième enfant Patrick, mort prématurément deux mois avant ce 22 novembre, à l’âge de deux jours. C’est encore cette réussite dévoreuse d’amour qui l’amène à quitter Inga, tant aimée, quittée trop vite et trop tôt, pour suivre son destin dans lequel le cœur n’a pas sa place.
Tout le livre est traversé de souvenirs, tant de la vie privée que publique de Kennedy, qui sonnent comme les traces d’une prédestination inévitable et l’annonce d’une mort devenue mythe. Et reviennent ces cinq dernières secondes, ce virage qui contourne un petit square, le soleil impitoyable, les femmes qui l’applaudissent, cette Lincoln au capot bleu nuit, l’immeuble aux briques rouges …
Avec American Requiem, l’assassinat de Kennedy n’est plus un événement historique tant de fois rabâché. L’auteur convie les grands de littérature mondiale – la Bible, Dante, Shakespeare, Camus, Mishima, etc – pour immerger ces cinq secondes historiques dans la mer profonde et incertaine d’un mythe inépuisable. « Pour comprendre les raisons de ma mort, pas besoin d’enquête policière, il suffit de relire le théâtre de Shakespeare et de Camus ». Notons d’ailleurs qu’aucune enquête policière n’a pu révéler de façon certaine les raisons, ni les auteurs véritables de cet assassinat.
« Je me suis fait dessoudé comme je l’avais souhaité, d’une balle en pleine tête, en pleine lumière, au moment propice pour assurer ma sainteté ». Cette affirmation est reprise, déclinée, reformulée de différentes façons dans les dernières pages du livre, donnant ainsi une dimension quasi christique à Kennedy. Car « seule une mort poétique peut assurer ma rédemption »
American Requiem fait éclater les coutures de la narration d’un événement historique en explorant d’autres chemins de sa compréhension, comme seule la littérature est capable de le tenter. Et de lancer des pistes hasardeuses ou non, pour aller au-delà de l’Histoire.

PS : les illustrations de Hélène Balcer et de Yann Voracek accompagnent le texte de Jean-Christophe Buclot avec une belle élégance énigmatique.
PS2 : American Requiem est édité par une nouvelle maison d’édition basée à Caen « La Renverse » dont l’une des particularités est de publier des livres qui ne sont pas exactement rectangulaires…
Pour en savoir plus sur cette jeune et originale maison, cliquez sur http://editions-la-renverse.com/