« Petit pays » est l’un des succès de la rentrée littéraire 2016. Il a reçu le prix Fnac, celui du Premier roman et le prix Goncourt des Lycéens. Son auteur, le rappeur franco-burundais Gaël Faye, est considéré comme la grande découverte de cette même rentrée littéraire. J’ai donc abordé son livre avec curiosité et prudence.
Ce roman est largement autobiographique. Gabriel, enfant aux confins de l’adolescence, vit dans les quartiers résidentiels de la capitale du Burundi, Bujumbura, « (…) où il y a deux choses qui vont vite, la rumeur et la mode. », avec ses parents – père français, mère rwandaise – qui ne s’entendent plus et sa petite sœur Anna. Il va à l’école, il a des copains du quartier avec qui il occupe l’impasse où ils jouent, il a une jolie correspondante française aux cheveux blonds qui lui envoie des bisous. Cette chronique d’une enfance privilégiée entre tendresse et tension donne de jolies pages qui vont de l’émerveillement à la mélancolie, en passant par l’inquiétude dans ce petit pays traversé par des conflits latents entre Hutu et Tutsi, comme dans sson pays jumeau, le Rwanda. Se pose la question-piège de l’identité, difficile à définir pour ce métis. On évoque la démocratie, le culte du chef… Les discussions politiques s’intensifient. « Nous vivons sur le lieu de la Tragédie. L’Afrique a la forme d’un revolver (…). A ces heures pâles de la nuit, les hommes disparaissent. Il ne reste que le pays, qui se parle à lui-même. ». Malgré une rixe prémonitoire avec un voisin, l’anniversaire de ses onze ans est « un moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous, célébrait l’existence ; l’instant, l’éternité de mes onze ans, ici, sous le ficus cathédrale de mon enfance, et je savais alors au plus profond de moi que la vie finirait par s’arranger. »
Cette enfance se fissure le 21 octobre 1993 quand il entend des coups de feu. La radio passe en boucle Le Crépuscule des dieux de Wagner, signe qu’un Coup d’Etat vient d’avoir lieu. Le joli récit d’une enfance favorisée et inconsciente s’effrite. A l’occasion d’une violente bagarre à cause de mangues volées, la colère remplace la peur. Il découvre la haine entre Hutu et Tutsi. Sa mère est Tutsi…. « La guerre sans qu’on lui demande se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. ». Les événements s’emballent entrainant le massacre de près d’un million de Tutsis par les Hutus au Rwanda.
Sur ce massacre, l’un des génocides du XXème siècle dans lequel la France a joué un rôle très douteux, Petit pays ne cherche pas à donner une leçon politique. C’est l’effroi qui domine, celui de la mère de Gaby qui part au Rwanda pour rechercher sa famille et ne découvre que des cadavres découpés à la machette. Elle en devient folle. L’effroi de Gaby lui -même, enfant privilégié qui est amené à lancer un Zippo allumé sur une voiture arrosée d’essence avec un homme à l’intérieur dont il ne retrouve que la carte d’identité.
Vingt ans après, Gaby/ Gaël revient dans son pays. Rien n’a vraiment changé, sauf la prolifération des téléphones portables. Il récupère les livres de Madame Economopulos, sa voisine qui lui a donné le goût de la lecture. Pour croire que la littérature peut survivre à tout, guérir de tout ? Dans son regard vu de l’exil français, il essaie d’y croire en affirmant dans les premières pages que « la poésie n’est pas de l’information. Pourtant, c’est la seule chose que l’être humain retiendra de son passage sur terre ». Pourtant, les dernières lignes suggèrent le contraire, dernières lignes d’une grande beauté, d’une cruelle douceur qui débouche sur le souvenir ou l’oubli, on ne sait …
De cette histoire d’un jeune garçon témoin d’un génocide, Gaël Faye n’en tire aucune affirmation de principe. Mais juste le témoignage d’une lourde mélancolie, d’une déréliction définitive… Oui, avec ce récit d’une enfance protégée qui devient naufragée, et ce regard d’adulte prisonnier de la tragédie de l’histoire, Petit pays mérite son succès !
