KimThùy continue de creuser son sillon autour de son histoire personnelle marquée par la fuite du Vietnam, encore enfant, avec les Boat People et la construction d’une toute nouvelle vie au Québec. Comment renouveler son récit, déjà narré dans Ru et Man, qui se fonde sur les mêmes expériences personnelles ?
Dans Vi, le récit remonte davantage dans le temps et l’histoire de sa famille, même si cela était déjà évoqué dans les livres précédents. Le personnage central devient la mère, déterminée pour gravir l’échelle sociale de son pays en se mariant, elle dont la peau est si foncée, avec un jeune homme riche et beau. Ambitieuse mais aussi réaliste pour elle-même et ses enfants, elle choisit sans hésiter de fuir l’avancée du régime communiste en embarquant sur un bateau dont la destination était alors inconnue, laissant sur place son mari très mal vu par le nouveau régime. Long et dangereux périple de réfugiés qui les amène à Montréal. Ambitieuse mais aussi respectueuse de la tradition, la mère veut promettre sa fille à un homme à qui elle doit obéissance. Ce n’est pas du goût de cette dernière – alter ego de l’auteure – qui a vite fait de prendre son indépendance pour parcourir le monde. Pour connaitre un autre type de relation amoureuse qui ne soit plus ankylosée dans la tradition. Pour conquérir sa totale liberté, hors de carcans de son enfance et de sa famille… Sa mère accepte « de confier l’éducation de sa propre fille à Hà, une autre femme loin d’elle, à l’opposé d’elle »
Le livre est traversé par de nombreux personnages : Hà, cette amie de sa mère, beaucoup plus jeune, qui « incarnait la femme moderne à l’américaine » ; Long, le frère ainé qui a « porté le poids du rôle de chef de famille. Il remplaçait à la fois mon père et ma mère » ; Tân, le premier amoureux qu’elle rejoint à Berlin pour célébrer la chute du mur ; Vincent, rencontré à Hanoï…
Entre Montréal, Copenhague, Manhattan, Shanghaï, tout ce monde, hormis la mère, rivée à son restaurant à Montréal, ne cesse de bouger comme si avoir fui le pays natal doit les mener à l’errance. Mais celle-ci est volontaire, elle est le signe éclatant de leur liberté, en se promettant de n’avoir jamais de regrets, en s’installant, ultime revanche, à Hanoï, capitale d’un Vietnam qu’elle avait fui dans la plus grande détresse quarante ans plus tôt. Et de se rapprocher de son père, sans le rencontrer…
C’est le livre d’un parcours en zig-zag, d’allers-retours, en courts chapitres-flash, entre Asie, Amérique et Europe, d’une errance entre les contradictions familiales, les contrastes culturels, les antagonistes politiques. A la conquête d’une liberté arrachée avec les dents, Vi traverse chaque étape, qui est autant un abandon qu’une découverte, cherchant à se libérer de « la lourde histoire laissée en héritage ».
Kim Thùy écrit ainsi un livre qui transcende son passé de réfugiée, qui dépasse les saveurs et les odeurs magnifiques de la cuisine vietnamienne propres à ses deux premiers livres. Tout en gardant son écriture sensuelle, elle narre un récit mêlant douceur et violence, tradition et audace, un récit où l’errance est reine, où le retour est possible.
Une réussite !
Si vous souhaitez en savoir plus sur les deux premiers livres de Kim Thùy, cliquez sur :
Ru et Mãn
