Tahar Ben Jelloun a longtemps été l’un de mes trois écrivains francophones préférés. Cela faisait longtemps que je n’avais rien lu de lui, sauf quelques articles où il commentait l’actualité. Avec le temps, il me semblait devenir d’un des mandarins de l’édition française, avec ses livres – romans, essais, poésie – qu’il publie à un rythme toujours très soutenu et sa présence au sein de l’Académie Goncourt. C’est donc avec curiosité et envie que j’ai ouvert son dernier livre, Le mariage de plaisir.
Le titre est accrocheur. Le mariage de plaisir est la permission donnée par l’Islam à un homme qui part longtemps en voyage, de contracter un mariage à durée déterminée afin de ne pas être tenté de fréquenter les prostituées. Et de sauvegarder son mariage.
C’est l’histoire d’Amir, commerçant prospère de Fès, qui se rend souvent au Sénégal pour approvisionner son commerce. Il y rencontre la très belle Peule, Nabou. Et en tombe éperdument amoureux au point de lui proposer de la ramener à Fès. Que passe-t-il quand l’homme revient au Maroc avec sa femme de plaisir qui, de plus, est noire de peau ? Ça se passe mal ! Et tout se complique quand Nabou donne naissance à des jumeaux, l’un étant noir autant que l’autre est blanc. Se déchaîne le racisme alors ajouté à la jalousie qui mène à la catastrophe. Et qui se répercute sur la génération suivante.
Le message est évident : ce livre est une vigoureuse et nécessaire charge contre le racisme dont la malédiction se poursuite dans les générations suivantes. Salim, le petit-fils noir de Nabou et Amir, paiera cher la couleur de sa peau. Ce livre a aussi des accents de plaidoyer pour la libération de la femme, il contient de belles pages sur l’amour et le plaisir. Il met le projecteur sur une société marocaine en permanent déséquilibre entre l’ambition d’accéder à une certaine modernité et les freins d’une tradition perpétuant les dominations séculaires.
Cela suffit-il pour en faire un bon livre, au-delà des bons sentiments dont il est plein ? Nul doute que Tahar Ben Jelloun a du métier, qu’il sait tenir en haleine le lecteur. Cela se lit bien, vite. Le propos est digne. Les personnages sont bien campés. Il ajoute comme témoin décalé du récit, Karim, un enfant trisomique dont la parole difficile est une sorte d’oracle aussi signifiant qu’indéchiffrable (l’auteur lui-même est père d’un enfant trisomique). Il a enchâssé le récit dans la bouche d’un conteur.
Mais l’ensemble de l’attelage ne suffit pas à donner au livre le ton d’un conte dépassant la trivialité de la réalité que j’attendais de l’auteur de Moha le fou, Moha le sage, L’enfant de sable et de La Nuit sacrée.
Je suis un peu frustré. Dommage !
