En 1873, Gustave Courbet a déjà plus de cinquante ans. Il fuit Paris pour la Suisse où il se réfugie au bord du Lac Léman. Ses convictions socialistes l’avaient porté à s’engager totalement dans la Commune de Paris. Il fut accusé d’avoir lui-même abattu la Colonne Vendôme, symbole de la Réaction s’il en fût. Après la défaite de la Commune, le nouveau Président Mac-Mahon condamne le peintre à payer la reconstruction de ladite colonne, soit 10 000 francs par an pendant 33 ans. Il s’exile. Ce sont ses quatre dernières années que David Bosc évoque, à la fois des années de dégradation physique, de créativité erratique, mais, avant tout, de très grande liberté.
Cette liberté n’a jamais cessé d’enivrer Courbet, y compris en exil, surtout en exil. Qu’importent les sommes astronomiques exigées par Mac-Mahon. Lointains sont maintenant les échos de la vie politique en France dont Courbet ne s’occupe plus du tout. La journée, il peint par monts et par vaux, il attend aussi le bon moment, il trempe ses cent cinquante kilos dans l’eau encombrée des rivières et les eaux calmes du lac Léman, la nature l’enchante et l’inspire en absence de toute contrainte sociale, loin de toute polémique artistique. Le soir, il mange, il boit, il baise. Il a des nouvelles de ses amis d’Ornans. Son père vient lui rendre visite. Ses amis de la Commune aussi. Courbet n’est en rien un ermite. Il partage sa liberté avec les autres. Il ne cesse de s’ouvrir au monde, lui qui en avait peint l’origine, de peindre la nature, sur laquelle il pose « un regard droit, à hauteur d’existence, sans escamoter ni le ciel, ni la terre. » (page 57).
Ces dernières années de la création artistique de Courbet sont le plus souvent oubliées, parfois méprisées. David Bosc rend justice à cette dernière période où Courbet continue de creuser son chemin. Il donne aux derniers tableaux du maître, leur sens, leur valeur, leur beauté, leur singularité, leur simplicité aussi, ce peintre qui ne fut « ni nostalgique, ni moderne – avers et revers de la même pièce dans la même poche » (page 107). Encore et toujours la liberté, y compris dans le grand courant de l’histoire de l’Art…
C’est cette liberté que David Bosc célèbre avec son écriture dans laquelle toute la nature s’anime, où les gestes et les objets parlent d’eux-mêmes, où les images se superposent, comme cette description d’un bain que prend le peintre : « D’un geste lent, genoux fléchis, tête baissée, les deux mains se saisissant du col par-dessus les épaules, il ôta sa chemise. Un pied déchaussa l’autre. Déboutonnés, les pantalons s’effondrèrent comme un paquet de tripes. Il avança tout nu – ayant cette nudité moindre, atténuée des gens gros – et se jeta dans un sente mêlée de cailloux, avec des enjambements de ronces, des racines déterrées, la dévala comme s’il avait encore aux pieds ses galoches. » (page 13). C’est un exemple de la façon dont David Bosc sculpte dans la matière des mots, de les faire danser pour en faire sourdre la vie.
Un vrai plaisir de lecture pour découvrir, par une écriture juste et vibrante, la partie la plus secrète de l’œuvre de l’un des plus grands peintres du XIXème siècle, un peintre libre, avant tout.

Intéressant, ça donne envie de le lire. Ah! la Suisse aura permis bien des refuges à des persécutés…. quoiqu’on dise
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La Suisse, valeur-refuge, par excellence …
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