Un beau début – Eric Laurrent (Editions de Minuit – 2016)

Eric Laurrent
Eric Laurrent

Ce livre est-il une habile plaisanterie attisée par des phrases (proustiennes ?) en méandres qui s’étendent parfois sur plus d’une page, fourmillant de digressions et de mots rares et gourmands, et qui pourtant restent tout à fait compréhensibles ? Ou la description au scalpel d’une destinée tragique qui n’est guère allée au-delà de son début ? Vise-t-il une description de rapports totalement déglingués entre femmes et hommes, de génération en génération, dans un contexte social et culturel entre Groland et L’Assommoir de Zola ? Ou la conquête d’une liberté au prix de contorsions et de têtes-à queues ? Est-ce la destinée d’une paumée morte prématurément ? Ou d’une femme rendue célèbre par son corps dénudé dans les revues de charme ?

C’est, en tous cas, un propos développé dans une écriture complexe et somptueuse, propos sans référence à un quelconque moralisme et gorgé d’humour noir qui ne cesse de claquer au pied de la dérision. Sur la famille où l’homme se gardait « le privilège de distribuer la parole  (…) tout en consentant un effort  qu’à la stricte condition que celui-ci fut faible, bref et lucratif » ; quand une mère traite ses enfants « comme des fruits monstrueux de ses accouplements passés, ces six petits minotaures désormais emmurés dans le silence de leur chambre. »

L’héroïne est Nicole Sauxilange, c’est elle qui pose nue sur papier glacé. Le récit débute bien avant sa naissance, dans une famille qui n’est pas tant recomposée mais totalement décomposée. On suit, un brin effaré, ses tribulations entre église et tripot, entre sexe et rigorisme, atmosphère délétère que Nicole cherche d’abord à fuir, puis à narguer. Et comment elle se venge de son enfance transparente en goutant « au plaisir d’avoir un public et, plus que cela même, des admirateurs », en ayant comme premier amant un jeune homme de bonne famille qui trouve plus plaisir à la photographier qu’à  lui faire l’amour. Quelques étapes plus tard, elle atteint son rêve.

La virtuosité de Eric Laurrent rend ce récit extrêmement jouissif alors qu’il ne pourrait n’être que la trame d’un roman de gare : ses longues phrases, loin d’être ennuyeuses, lancent des pistes de tout côté avec humour, sans prendre pour autant à la légère la destinée de Nicole. En décrivant une famille en lambeaux, et une société symboliquement anthropophage, l’auteur s’érige en moraliste sans leçon de morale, avec un regard juste et vif, comme le titre lui-même, Un beau début, trois mots fourmillant d’ambiguïtés

C’est drôle, sensuel, vachard, profond (oui, oui) et très malicieusement construit : ne pas oublier de lire les notes de bas-de-page !

Eric Laurrent
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