Une colère noire – Ta-Nehisi Coates (Editions Autrement – 2016)

Une colère noireTa-Nehisi Coates a 40 ans. Il est né à Baltimore, il est Noir. Journaliste, il vit maintenant à Harlem, avec sa femme et son fils. C’est à ce dernier qu’il s’adresse dans ce livre tendre et violent, témoignage d’un parcours raconté avec une rare acuité intellectuelle, en réévaluant l’histoire des Noirs au sein des Etats-Unis d’Amérique, marquée par la peur toujours présente qu’ils ressentent toujours quels que soient les progrès réalisés depuis Martin Luther King. Car la destruction du corps noir reste un héritage de la violence de la société qui a fondé les Etats-Unis, sur la base de l’esclavage des Noirs venant d’Afrique. La permanence de la destruction du corps noir est la trame de tout son livre, autour de laquelle il fonde son témoignage, son engagement, sa révolte, sa résistance,

En évoquant l’expérience de ses propres parents, celle de sa femme, la sienne, celle de ses amis, il ne cesse de se heurter à la réalité de la domination d’une Amérique toujours blanche, celle « de ces garçons insouciants, à ces tartes et à ces viandes rôties, à ces blanches clôtures et à ces verts jardins qui scintillaient la nuit sur nos écrans de télévision. », illustration du « Rêve », mythe américain à l’usage exclusif des Blancs, où toute différence raciale est gommée, oubliée. La réalité des Noirs reste celle de la peur toujours latente d’être à la merci d’une balle tirée. Ce corps noir reste destructible. « Je te le dis : cette question — comment vivre avec un corps noir dans un pays perdu dans le Rêve — est la question de toute ma vie. »

D’où la peur. « Et j’ai peur. Cette peur augmente à chaque fois que tu me quittes. Mais j’ai découvert cette peur bien avant ta naissance. Quand j’avais ton âge, toutes les personnes que je connaissais étaient noires et toutes vivaient dans cette peur, violemment, obstinément, dangereusement. » La peur, et sa compagne, la violence. « La violence naissait de la peur comme la fumée vient du feu. Et je suis incapable de dire si cette violence, même administrée dans la peur et dans l’amour, nous réveillait ou nous étranglait. ». La loi ne protège pas les Noirs de la violence : « A l’époque de l’esclavage, la loi ne nous protégeait pas. Aujourd’hui – à ton époque – la loi est devenue une excuse pour pouvoir t’arrêter et te fouiller, » (page 36). Ta-Nehisi Coates explore comment cette peur intervient dans toutes les strates de la vie personnelle, familiale, sociale, publique des Noirs aux Etats-Unis.

Il explique aussi comment il tente de se réhabiliter dans cette Amérique d’une violence irrémédiable. Par les livres, par ses études dans l’université d’Howard où certains de ses oncles et  tantes ont obtenu leur diplôme, où il a rencontré sa femme. Howard, qu’il appelle aussi « La Mecque » car elle représente « le carrefour de la diaspora noire ». C’est en partant de là qu’il a entrepris l’élaboration d’ « un nouveau récit, une histoire nouvelle racontée à travers le prisme de notre lutte ». Coates raconte cette longue démarche intellectuelle, militante, amoureuse, familiale, paternelle. Sans oublier le rôle de la poésie : « ça consistait à analyser mes réflexions jusqu’à ce que les scories du raisonnement disparaissent pour laisser place aux vérités froides et brutales de la vie. »

La profondeur de sa réflexion n’occulte pas sa colère, avec le souvenir toujours prégnant de son ami de fac, Prince Jones, tué en 2000 par un policier qui l’avait pris pour un autre… « Et aujourd’hui, ça continue avec un système carcéral tentaculaire, qui a fait de l’entreposage des corps noirs une source d’emplois et un investissement lucratif pour les Rêveurs ; nos corps financent encore et toujours le Rêve d’être blanc. La vie noire ne vaut pas cher, mais en Amérique les corps noirs sont une ressource naturelle d’une valeur incomparable. »

Loin d’avoir la sécheresse d’un livre de réflexion intellectuelle, l’écriture de ce livre s’articule autour du dialogue avec son fils. Sans recommandations, ni injonctions. Mais lui donnant les moyens de vivre, de lutter, dans une langue qui passe par multiples reflets, la confidence, la philippique, la poésie, une langue qui donne à ce livre le souffle d’une œuvre qui marque déjà la littérature noire-américaine, la littérature américaine dans son ensemble.

Toni Morison, l’écrivaine noire américaine, Prix Nobel de la littérature, ne s’y est pas trompée, en déclarant que Ta-Nehisi Coates est la nouvelle voix capable de remplir le vide causé par la mort de l’écrivain James Baldwin en 1987
[A lire aussi, la belle préface d’Alain Mabanckou].

Ta-Nehisi Coates – 2016 – Bruno Lévy pour « Le Monde »
Ta-Nehisi Coates – 2016 – Bruno Lévy pour « Le Monde »

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